jeudi 31 mai 2007

Un sauveur nommé Assémien Adja


« La pensée politique pour sauver la Côte-d’Ivoire », est une oeuvre publiée en 2003 en Côte-d’Ivoire et restée complètement confidentielle dans le flot d’écrits et d’actions ayant immédiatement suivi les événements de septembre 2002. D’œuvre, il s’agit en fait, d’une analyse en 30 pages, un brûlot relativement mal écrit où le philosophe Assémien Adja s’insurge contre les « modèles racistes des Blancs impérialistes » et propose, sans sourciller, un modèle de société reposant tranquillement sur le retour au village !


2003 n’est-elle pas l’année où la Côte-d’Ivoire expérimente, le long des villes, divers plans de sauvetage ? Assémien n’aime ni l’errance, ni la transhumance. Il nous invite donc à un retour à la terre natale, au bout du petit matin de nos nuits à Zinzins et Bahêfouês.


Son grief est clairement exprimé : « Le plan du complot diabolique des Blancs visant à maintenir éternellement les Noirs sous leur colonisation en se servant des intellectuels (formés à leur école et à leurs églises) et de leur civilisation (leur modèle socio - politique) doit être combattu (...) pour renouer définitivement avec nos systèmes de chefferie, de royauté d’empire etc.) ».


Cela lu, l’on sait désormais tout d’Assémien Adja. Restera juste à rappeler qu’Assemien est philosophe et qu’il a longtemps exercé à Dabou, une ville où les lycéens l’ont surnommé « Goukouni Weddeye », pour la tignasse et la barbe proverbiales, bien que la constance capillaire du philosophe n’explique pas, à elle toute seule, la persistance du sobriquet !

C’est certainement dans les accents « révolutionnaires » du lointain collègue d’Aristote qu’il convient de rechercher les causes de son identification à l’ex-Président Tchadien, puisque Assemien est connu pour n’avoir pas attendu les soleils d’Avril 90 pour être un anti-conformiste.


Mais sur le fond, ce que propose notre compatriote, théoricien de « l’Afrocratisme » n’est pas nouveau. Comme bien d’autres penseurs avant lui, il en appelle à un retour à l’Afrique traditionnelle. Sa voix reste ainsi l’écho d’une certaine soif/ nostalgie, et n’est pas sans évoquer l’ « Assanou Atin » (piste de la libération) d’ Addiafi. Déçu par le modèle sociétal occidental, le philosophe daboulais nous recommande d’agir comme si nous n’avions jamais rencontré Descartes, Verdier ou Treich-Laplène et nous invite à nous comporter - pour notre propre salut - comme si Houphouët ne nous avait jamais sorti du trou.


L’excès consiste ici à faire porter la cagoule à une parenthèse de notre histoire que nous n’avons pourtant pas à occulter : la rencontre avec l’occident. Qu’elle nous paraisse honteuse ou glorieuse, héroïque ou scandaleuse, nous devrons la regarder en face, l’affronter et la surmonter et non nous réfugier derrière de discutables préoccupations factuelles, ou derrière le fantasme d’un passé immaculé.


La solution Adja parait aussi inopérante par son inconscience des mutations de notre société. Que propose le ruralisme Afrocratique face à la question de la distribution de l’eau par exemple ? Cette ressource peut-elle être distribuée entre les millions de villageois que nous serons devenus, si nous n’adoptons des réflexes parfaitement étrangers à nos cultures traditionnelles ?


Comment la cité villageoise entend-elle aussi régler la question de l’esclavage, car tous redevenus villageois du jour au lendemain, nous devrons évoluer chacun selon son rang. Comment, dans l’espace sociologique recomposé, l’ancien Banquier (re) devenu, par exemple, « Kangah » saura-t-il tenir l’éventail ou la canne en se mettant au service de son ex-planton bombardé notable par la magie de l’Afrocratisme ? D’autres questions restent sans réponse chez Assémien, mais apparemment l’homme préfère les questions aux réponses. Et des questions il ne manque pas d’en susciter par sa célébration, on ne peut plus claire, du coup d’Etat de 1999.


Celui que les lycéens ont surnommé Goukouni n’hésite pas à affirmer qu’ « En Côte-d’Ivoire, le coup d’Etat militaire du 24 décembre 1999 nous a donné une chance inouïe de changer le cours de notre histoire nationale et d’opérer une révolution socio-politique en abandonnant les modèles racistes des blancs impérialistes pour renouer définitivement avec nos systèmes de chefferie, de royauté, d’empire etc. ».


Grâce à Robert Guéï donc les ivoiriens avaient eu la chance inespérée d’avoir un Etat villageois. Mais, s’en indigne Assémien, ils n’ont pas su exploiter cette parfaite aubaine. La nation ainsi obtenue en aurait été dirigée, nous dit Adja, par l’ensemble des chefs traditionnels des ethnies confédérées (Rois, Empereurs, etc.). Elle aurait à sa tête un Chef suprême, un roi, choisi pour cinq ans mais élu par…tirage au sort ! Et ce, pour l’épanouissement et la grandeur, les plus certaines, de l’homme noir ainsi retourné au village, seul lieu où semble finalement s’épanouir l’humain.


Nous aurions pu rire, plus franchement, du projet d’Assémien Adja si les théoriciens de la mondialisation n’avaient choisi de symboliser notre monde globalisé par la notion de village. La globalisation n’a pour symbole ni le quartier, ni la ville, ni la principauté, mais le village. L’on le dit planétaire, mais devant nos bouquets numériques, nos microprocesseurs et nos cerfs-volants supersoniques, nous sommes toujours aussi superstitieux et imprécateurs qu’à la pire époque des bûchers que nous croyions, naïvement, avoir définitivement éteints.


Pourquoi le village nous fascine-t-il tant ? Comment au milieu du confort et de la rutilance de nos villes ressentons-nous encore le besoin d’uriner, debout, dans la rue, comme cette pimbêche croquée par Césaire ? Pourquoi, même devenu Ministres, éprouvons-nous encore le besoin d’échanger quelques coups de poings au sein même du palace le plus huppé ?

Réponse : on peut tirer le villageois du cœur du village, mais on ne peut tirer le village du cœur du villageois. Besoin de communion, soif d’échange, fut-il convivial ou conflictuel, l’indifférence étant le mal le plus difficile à supporter.


Pas plus qu’hier mardi, toute l’Europe en était à célébrer la « fête du voisin », une célébration qui selon ses organisateurs, se veut donner à chacun, l’ « occasion de rencontrer ses voisins pour développer la convivialité afin de rompre l'anonymat et l'isolement qui règnent souvent dans nos villes ». L’édition 2007, la 8ème du genre, relayée en France par plus de 560 mairies a aussi été célébrée dans 700 villes européennes.


L’homme, éternel villageois, androgyne, toujours en quête de l’unité ébréchée ? Un fait est sûr, notre modernité à peine devenue planétaire se sent déjà envahie de la nostalgie de la case de départ.

Puissions-nous en avoir conscience afin de concilier notre besoin légitime d’affirmation et la nécessité, pour nous, de vivre en frères, malgré nos divergences.

jeudi 24 mai 2007

Demain la monnaie ivoirienne ?

La Côte-d’Ivoire créera-t-elle bientôt sa propre monnaie ? Voici une question qui trouble le sommeil à plus d’un décideur sur le continent.
La palme de la fébrilité, pour l’instant, semble revenir au Sénégal d’Abdoulaye Wade, où en février dernier, un aréopage de patrons s’est profondément ému de propos attribués au Président Mamadou Koulibaly, Président de l’Assemblée Nationale ivoirienne.

L’agence Pana prête au parlementaire ivoirien d’avoir évoqué l’éventualité de la création d’une monnaie propre à la Côte-d’Ivoire, en contestation de la domiciliation des avoirs extérieurs des pays de la zone franc aux « comptes d’opération » du Trésor français. « Ce serait une catastrophe pour la zone UEMOA et toute l’Afrique. Car la Côte-d’Ivoire représente, à elle seule, la locomotive de l’Union. Et le Sénégal qui l’épaule, ne pourrait pas seul tenir debout », a déclaré, face à cette perspective, Doudou N’Doye, candidat malheureux à la présidentielle sénégalaise. Ses compatriotes du patronat, parlaient, eux, de « dispersion des forces africaines ».

La tempête s’était à peine calmée quand la troublante question a ressurgi, à l’occasion des consultations devant aboutir, à la BCEAO, au choix d’un successeur à l’ivoirien Konan Banny.
Cela est désormais un secret de polichinelle : le poste de gouverneur de la BCEAO est contesté à la Côte-d’Ivoire, alors que depuis sa création, la banque avait toujours attribué, par un accord tacite, son siège au Sénégal et le poste de Gouverneur à la Côte-d’Ivoire.

La Côte-d’Ivoire, de son côté, n’entend pas du tout se laisser caporaliser au sein d’un ensemble où elle pèse à elle toute seule 43 % de la masse monétaire. Ainsi elle envisagerait son retrait pur et simple de l’UEMOA, assorti de la création d’une monnaie si devait persister le refus des opposant à la gouvernance ivoirienne. En face on fait de l’esbroufe : « Si la Côte-d’Ivoire se retire, il y aura la Côte-d’Ivoire et les autres » a menacé récemment un décideur Sénégalais. Faudra-t-il alors craindre le boycott des produits ivoiriens au sein de la zone « éconduite »?

Mais, au fond, une Côte-d’Ivoire ostracisée, ne serait-ce pas là, finalement, l’expression ouverte d’une tendance déjà symboliquement en vogue ? Les ivoiriens ont-ils jamais eu autant de chance de réussir dans les autres pays de la zone UEMOA qu’ils n’en offrent, chez eux, à leurs frères issus de cet espace ?

Devant ce qui s’apparenterait à un réel camouflet au leadership ivoirien, Abidjan devrait prendre une décision qui préserve les intérêts du pays, puisqu'il serait vraiment ridicule pour la diplomatie ivoirienne de ne pas être en mesure de concrétiser en autorité effective 43 % de poids économique.

Même si on peut regretter que la question de la monnaie ivoirienne n’ait refait surface que dans un contexte afro-africain, cette problématique méritait réellement d'être abordée, en raison de la caducité des mécanismes hérités de l’empire colonial.
Pour faire face aux enjeux du monde actuel, il s’avère aujourd’hui nécessaire pour les Etats africains de faire leurs armes, en toute responsabilité. Puisque ce n’est certainement pas en se repliant au sein de chrysalides cristallisées que les économies du continent pourraient acquérir la rigueur, la combativité nécessaires à aux compétitions mondiales S’il faut redessiner la carte des rapports sur le continent, ce ne sera pas seulement en changeant d’hymnes nationaux, d’emblèmes ou de noms.
Il sera plutôt question de retracer les itinéraires de nos espaces économiques, culturels, sociologiques, économiques… « By us, for us », en disant bye, bye aux us et coutumes de l’antique cartographie.

Pour ce faire, il nous faudra imaginer de nouvelles combinaisons, inventer des nouveaux partenariats qui soient en mesure d’intégrer les diverses réalités sociologiques, psychologiques, anthropologiques mises à jour par notre histoire récente. Dynamique la réalité économique ne saurait indéfiniment s’accommoder de schémas paraplégiques.

L'autre préjugé qu'il faudra sans doute aussi vaincre, c'est celui de la prétendue marche solitaire. Qui dit que la rupture avec la zone UEMOA se solderait nécessairement par une existence insulaire ? Il existe en Afrique d’autres zones économiques et rien n’empêche que se créent de nouveaux espaces pensés, conçus et réalisés sur la base de réalités actualisées et intelligemment renseignées.

Ne l'oublions pas, la BCEAO est un instrument, sinon au moins un vestige d’une certaine zone conçue sur la base de présupposés impérialistes, comme tel, elle fonctionne en référence à des mots d'ordre qui ne peuvent qu’être en porte-à-faux avec les choix d'une Afrique libre : pour contester à la Côte-d’Ivoire des 43% son leadership, il faut que la BCEAO soit ouvertement devenue un lieu d'expression de réalités autres qu'économiques.

Au lieu de donner cours à une cordiale animosité envers le champion ivoirien les Etats de la zone dite "franc" devraient franchement réfléchir à la question des comptes d’opération, près de 50 ans après les indépendances empaquetées.

Six pays membres de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) - la Gambie, le Ghana, la Guinée, le Liberia, le Nigeria et la Sierra Leone - ont émis, voici quelques années, le projet de créer une union avec une monnaie commune en Afrique de l'Ouest. Le projet n'est pas nécessairement mort. Ces pays s'étaient engagés à travailler à la fusion de leur union monétaire avec l'UEMOA plus tard.
Ils avaient par ailleurs pris l'engagement de faire en sorte que leurs économies répondent aux normes requises à l'usage d'une monnaie unique : taux d'inflation inférieur à 10%, voire 5 %, réserves brutes en devises couvrant au moins trois mois d’importations, financement du déficit budgétaire par la banque centrale limité à 10 % des recettes fiscales de l'année précédente et déficit budgétaire plafonné à 5 % du PIB.

Cela montre bien que plusieurs schémas existent et que la BCEAO n'est pas une panacée. Seules questions en suspend : à quel stade d’avancement est notre projet monétaire ? Comment comptons nous concrètement assurer la stabilité de notre monnaie ?

jeudi 17 mai 2007

La disponibilité de Girardin


« Je suis à la disposition de Gbagbo ! », aurait dit la compatriote de Poncet, Mme Girardin, Ministre des Colonies aux micros de nos confrères. Et voici donc qu’après 12 vols infructueux en terre ivoirienne, la femme qui perdait son temps, a pu être sauvée en touchant un pan de veste. Sainte allégresse, paix et joie, hosanna ! Elle l’a dit, la compatriote de Destremau « Je suis à la disposition de Gbagbo ! ».


Pour ceux qui aiment les dessins, elle dit que notre Président peut disposer d’elle et « entièrement » comme l’ajoute, impertinente, la presse nationale. Mais la femme qui s'épanche ainsi est celle qui avait cru dénoncer une dictature rampante en Côte-d’Ivoire. On a entendu ses potins sur le mandat de notre Assemblée nationale, on l’a vue, le déguisement assorti, en galante compagnie à la décharge d’Akouédo. D’autres cabrioles ont émaillé 13 excursions désespérément stériles en Côte-d’Ivoire.


Mais à voir les tours et girations de Giradin, on comprend mieux que rien de grand ne se fait sans passion. Rien de gros non plus. Autrement comment la Ministre des Colonies a t-elle pu dire que la France n’a aucun intérêt, vraiment aucun intérêt particulier en Côte-d’Ivoire ? De la passion pour l’imposture, il en aura fallu aussi, pour lancer : « Je viens régulièrement dans votre pays, j’ai toujours indiqué que j’étais à la disposition du Chef de l’Etat s’il souhaitait me rencontrer… » !


(Non chérie, c’est toi la française…tu sais bien que dans ce cas là, la tournure juste – le Dire bien – aurait été « s’il souhaitait me recevoir », Gbagbo n’ayant pas à rencontrer un ministre, mais à le recevoir éventuellement, comme ce fut justement le cas pour toi, « presqu’en fin de journée », le vendredi dernier. Tu sais.


Et à la fin de l’audience comment as-tu exprimé ta joie d’être enfin reçue par le Président?) « J’en suis heureuse pour deux raisons. La première, c’est que j’y vois une reconnaissance du rôle important que joue la France pour aider, dans le cadre des actions de l’ONU, la communauté internationale. Je veux y voir aussi le souci d’avoir des relations apaisées avec la communauté internationale… ».


Ainsi donc, après avoir reçu Renaud Vignal, Poncet, Bentégeat, Alliot-marie, De Villepin, Tintin et Scoubidoo, il fallait nécessairement recevoir Madame la Ministre des Colonies, pour que soit enfin vus la « reconnaissance du rôle important de la France » et le souci d’avoir des relations apaisées avec, ni plus ni moins, « la communauté internationale » ?


Excusez du peu ! Encore que le « souci d’avoir des relations apaisées avec la communauté internationale » n’est même pas perceptible de Madame, elle « veut » simplement, par charité chrétienne, le voir. Et Madame d’enfoncer passionnément le clou : « J’ai rappelé au Président Gbagbo quelle était la politique de la France (…) faire en sorte que les ivoiriens puissent (…) avoir un Président légitime pour les années à venir ».


Au-delà des insultes d’illégitimité et d’ignorance faites au Président d’une République membre de l’ONU, une telle déclaration, a l’avantage de nous rappeler, si besoin en était encore, la culture d’arrogance de l’essentiel des interlocuteurs français de la Côte-d’Ivoire et de l’Afrique en général. De Renaud Vignal, hussard des chancellerie, au malthusien attardé Pascal Sevran, il y a une tradition d’arrogance à laquelle ne veut déroger la Ministre des Colonies et elle l’a bien montré.


Cependant l’intervention de Madame, sans être un modèle de courtoisie, représente, au regard de ses précédentes déclarations, un essai laborieux de civilité et même de sincérité. Celle qu’une audience console et suffit à convaincre de la « reconnaissance du rôle important de la France» cache mal son réel sentiment d’inutilité dans la résolution à la crise ivoirienne. Brigitte Girardin sait bien que les acteurs politiques de ce pays, de quelque bord qu’ils soient, n’ont plus aucune considération particulière pour le GTI.


Il n’y a qu’à lire les récentes déclarations de l’opposition sur la « capitulation » et l’ « impuissance », de nos travailleurs internationaux d’Attécoubé (Sebroko) pour s’en convaincre …


Finalement, à part la mine sympathique de Rodolphe Adada – en nœud papillon dans notre pays en guerre – le scaphandrier de Girardin à la décharge d’Akouédo et les coutumières bouderies de Schori, que devra-t-on retenir du GTI ? Peut-être rien.


Excellences Lectrices, Excellences Lecteurs, question à deux sous : Gbagbo a-t-il quelque chose à faire de la disponibilité de Brigitte ? Je pense que non. Vous me pardonnerez de ne pas vous dire pourquoi.

Fakaloh


Fakaloh est connu pour être le fiancé d’une femme en pleurs. Elle était venue là, à l’Hôtel de Ville, pour sceller, dans la roche de la légalité, son amour. Se marier était son désir, mais contredire les « On dit », aurait été son plaisir. Ne disait-on pas – à Ondikro – que Fakaloh, son chou, était le roi de la dérobade ? Elle aurait l’occasion de démentir, une fois pour toutes, la rumeur.
Mais à voir la façon dont la mariée pleura le jour des noces, tous avaient compris que son déserteur de Fakaloh avait encore frappé. Torrent de larmes, océan d’amertume, regrets et consternation aux abords du parquet nuptial. Eh Fakaloh !


Comme il fallait s’y attendre, la rumeur enfla. Certains jurèrent que Fakaloh avait des ennuis de santé. Dautres, radicaux, affirmèrent l’avoir aperçu à la gare routière, avec 18 valises. D’autres encore prétendirent l’avoir vu repartir au village vaquer à l’extraction du vin de palme. Toujours est-il que la mariée fut abandonnée, n’ayant plus, pour tout trésor, que ses yeux en larmes et pour tout refrain que « Fakaloh oh, c’est ça que tu veux ? ».


La bonne dame, à notre avis, a dû être blessée dans son sens de la légalité. Elle aspirait au mariage, mais Fakaloh, allergique à tout ce qui est élu, n’a pu supporter l’idée même du voisinage avec le Maire. Il est possible aussi que le ceinturon du Maire, barré de couleurs chères à Eugène Djué, l’ait rebuté. Fakaloh serait-il d’une autre commune que la nôtre, comme certains l’ont avancé ?


Sous-produit de forces exogènes, Fakaloh fait front pour mieux être sans visage. Consortium sans vrai épicentre, il s’éclipse naturellement, pour laisser la marge à ses petits pompiers. Qu’ils braisent autobus ou commissariats, rossent de coups gendarmes ou douaniers, giflent forces municipales ou forestières, nous devrons, prescription médicale, nous taire. Nous seuls avons le devoir d’être mesurés, l’attitude républicaine demeurant un exercice facultatif pour la Fakaloh and Co.


Excellences Lectrices, Excellences Lecteurs, pourquoi la mariée pleure-t-elle ? Elle n’a pas la tête d’une pleureuse, mais elle n’en pleure pas moins. En faisant le choix d’un retranchement à relents tribalistes, l’on montre bien que la rébellion n’est pas une question de tête, mais plutôt une question de fond. Ainsi, « Ai-je la tête d’un tueur » n’est pas la bonne question, mais « suis-je un allié objectif de la rébellion? », that s the(good) question ! La femme a alors raison de demander à Fakaloh « C’est ça que tu veux » ? Une République de tranchées ? Une territorialité en tranches et retranchements pour que rigolent « les mauvaises langues » ?


La course au retranchement brise, pourtant, la légitimité de la fonction. Si le consensus est le critère au nom duquel l’on nous a imposé l’élu sans urne de la 1721, sait-on en revanche que sa « légitimité », se brise de fait, sur les rails de l’autisme rural? Dans le retrait villageois, « l’élu » met fin, pour la seconde fois, à son « mandat », en montrant qu’il est loin d’être le bon vecteur du consensus. Abidjan n’est pas la Côte-d’Ivoire, Morofê, voilà sans doute la République. N’en rions surtout pas.


Mais Fakaloh, c’est aussi cette opposition se riant encore et toujours d’un Père, 13 ans après sa disparition. De Yamoussoukro livrée aux mouches, l’œil du défunt a eu droit aux récurrentes dionysies de Prepressou. Il y avait pourtant comme un rendez-vous tacite, un contrat entre le père et ses héritiers. A la mémoire du père la Fakaloh and Co n’a rien servi de mieux que misère, galère, violeurs de femmes à terme et buveurs de sang. «Du courage ! Du courage ! », peut-on alors nous dire, puisqu’on sait mieux que quiconque la profondeur du mal à nous fait.


Excellences Lectrices, Excellences Lecteurs, les rendez-vous manqués, mettent de la peine au cœur. Sans dresser une auréole précipitée à Kagamé Paul, bornons-nous à faire remarquer que l’homme à honoré le rendez-vous pris avec la dignité des siens. Pendant que des lettres de créances sont reçues, certains continuent de traiter les autres comme leurs valets. Devant une telle injustice, la mariée rwandaise, pense avoir mieux eu à faire que produire des larmes et des chansons.


Elle ne cherche pas à savoir ce que veut Fakaloh, puisqu’elle le sait déjà. Fakaloh est ce type qui veut lui faire bien plus que des coucous, sans se mettre la corde au cou ! Il veut de l’intimité sans passer par l’unité. Le mariage c’est trop long : manucure, pédicure, essayages, habillages, confettis, séances de photos où l’on vous impose quelquefois de soulever de terre une solide mère de famille, tout ceci fatigue Fakaloh. Il n’aime pas ça. Pourtant, il veut femme. « On est où là ? » disent dans ces cas, les femmes d’ici. Fakaloh doit se rendre à l’évidence. Plus personne ne doit se laisser flouer.


Excellences Lectrices, Excellences Lecteurs, « Est révolue l’heure de la génuflexion » comme le dit si bien l’auteur de l’Elytre incendiaire. Nous n'aurons désormais pour partenaires que ceux qui auront compris que la coopération se nourrit de respect mutuel, de considération réciproque. Pour que prospère le bateau Ivoire, à l’eau tous les Fakaloh !
A très bientôt, plaise à Dieu.

"Maiéto" pour Renaud



Dois-je entonner pour Renaud le chant sacré des amazones, la complainte des guerrières portant deuil sur une consoeur tombée en couche ? Au risque de surprendre, je dirais oui. Renaud enfantait, sans doute, à contre-courant de nos espérances mais l’homme avait, comme chacun de nous, sa part de rêves, son faisceau d’aspirations.

Il était l’ambassadeur de la France dans cette Côte-d’Ivoire banalisée et déchirée de septembre 2002, cette Eburnie de pères giflés et de sceptres outragés. Renaud était des nôtres, témoin des menaces radiogéniques « de descentes sur Abidjan ». Il était là quand une évacuation de ressortissants étrangers s’était communiée en vacances de l’administration d’Etat, il était là diplomate médiumnique parlant de cloches et de carillons, de nativité glaciale et de Palais désertés…
Peut-être ne laissera-t-il à nos mémoires que le souvenir d’une célèbre missive, testament au vitriol, gageure épistolaire à la face de la Cote-d’Ivoire interloquée. La lettre a pourtant révélé, sous la furie des vocables, un homme d’une grande sensibilité. L’Auteur du Maiéto pour Zékia aurait ici évoqué « la haine amoureuse », cette « même folie d’aimer qui nous tiraille ».

A notre confrère De Yédagne, alors Directeur Général de Fraternité Matin, Vignal, tout diplomate qu’il avait été, n’avait pu s’empêcher d’adresser les mots que voici : « J'ai écouté votre déclaration hier soir, au journal télévisé de 20h sur RTI, et je viens à vous faire part aussitôt de mon indignation et de ma déception devant les propos mensongers que vous avez proféré sur l'attitude de mon pays par rapport à la Côte d'Ivoire dans la crise que connaît votre pays depuis le 19 Septembre ».

Il avait dit « aussitôt », « déception », « indignation » ? Trois traits de l’homme en avaient été trahis : fougue, passion, spontanéité. Fougue par le temps mis à réagir, passion dans la défense de « son pays », spontanéité dans l’usage des mots de l’indignation. L’homme outré et déçu n’avait voulu laisser passer un seul jour, il lui avait fallu répondre au « D.G. menteur » dès les premières lueurs du matin.
L’ambassadeur s’était dit déçu de notre confrère, mais comment pouvait-il l’être, s’il n’avait auparavant rien escompté de l’ami décevant ? Il y avait eu déception parce qu’à portée de cœur, il y a eu espoir. Vœu flétri, attente infructueuse pleurée, sous le déluge incendiaire. Renaud, homme d’espoirs déçus, voyageur abandonné aux quais d’espérances inassouvies.

Pour dire toute sa déception et son indignation la missive était carrément descendue aux enfers. Elle évoquait des bourreurs de crâne et la sottise ambiante de ceux qui avaient osé offenser ce pays, la France, qu’il servait et ne supportait de voir foulée aux pieds. Renaud c’était l’Aristote de l’Ethique à Nicomaque, voyant en l’ami, celui avec lequel l’on « partage le sel ». Et à l’ami d’hier, à ce Yédagne qui avait planté dans le dos de sa France vénérée des mots mensongers Renaud chantait cette complainte indignée :

« Que vous ayiez à Abidjan des "bourreurs de crânes" stupides dans leur nationalisme exacerbé et xénophobes, passe encore. Mais que le Rédacteur en Chef de Fraternité Matin, vous, que j'ai tenu à recevoir à déjeuner, avec toute votre équipe, après votre accession à vos nouvelles responsabilités pour vous manifester notre intérêt et notre estime pour ce que vous entrepreniez pour Fraternité Matin, vous qui m'aviez demandé, et obtenu, des contacts avec des quotidiens comme "Le Monde" lors de votre dernier voyage à Paris; que vous, vous vous laissiez aller, au nom de je ne sais quelle hystérie nationaliste, à hurler avec les loups les plus imbéciles contre la France, les bras m'en tombent. » !


Honorat avait été invité à bouffer, et avait été aussi, comme dira le Maître, « coupable d’un repas ». Comment alors pouvait-il, après s’être régalé, cracher dans la soupe ? Pour soutenir un tel raisonnement au stade de responsabilité qui était le sien, il avait fallu à Renaud, autre chose que de l’inimitié. Quelque chose comme de la candeur, pureté paradoxale par laquelle la colère ne parvient à se hisser à cette froideur requise aux vrais actes de méchanceté.


Renaud croyait devoir évoquer les services rendus. Frat-Mat avait été introduit auprès de le Monde. Le coup de pouce ne pouvait qu’inspirer la reconnaissance. Il y avait aussi cette allusion aux loups les plus imbéciles. Ce terme dans un courrier signé d’un diplomate en fonction et les bras qui lui en tombaient. Comme pour dire qu’il n’avait plus la force de supporter l’inadmissible. Mieux comme par auto immolation, le diplomate citait une sentence de Talleyrand : « Tout ce qui est excessif est insignifiant ». Renaud avait parlé d’imbéciles, de loups hurlants, de bourreurs de crâne… et ce dans un courrier officiel. L’excès était là, s’étalant dans toute sa candeur.


Renaud a dit des choses plus caustiques. Mais faudra-t-il pour autant prendre en grippe sa mémoire? Que non. Renaud était ce frère qui n’avait su se reconnaître comme tel. On l’avait dit socialiste. Nous avions découvert un patriote français. Patriote, comme on peut l’être à gauche ou à droite. Il avait souhaité « voir le moins possible » Honorat et le traitement devait s’appliquer aux loups imbéciles avec lesquels l’illustre journaliste hurlait à présent. C’était excessif, c’était dérisoire. Seul devra survivre l’amour.

Ouagadou-goût !


Les accords, les mets, comme les médicaments ont leur goût. Celui de Marcoussis est connu. Mais quel goût a Ouagadougou ? Laissons nous porter par la musicalité du mot. « De la musique avant tout » ! disait Verlaine.

Ouagadougou a le goût de « Devandougou »

« Un retrait de la communauté internationale est envisageable dès maintenant » a dit, savoureuse, Mme Girardin. Une vérité aussi succulente transforme Ouagadougou en spécimen de réussite culinaire. Il manquait, toutefois, à l’assiette des compétences une touche d’épices. Ce fut à Mme Alliot Marie de nous l’offrir, en une pincée délectable et claquante : « Un plan de retrait ne se fait pas comme ça, en claquant des doigts». Leçon de cuisine à une congénère un peu pressée ou mise au point à notre fondante hilarité de nègres ? Qui aurait le mauvais goût de discuter de goûts et de couleurs ? Avec Ouagadougou, « nous sommes de Devandougou », nous rassure Mme Girardin. Mais en allant à Devandougou, ne laissez pas, Madame, en chemin, votre disponibilité, ça peut servir !

Ouagadougou a le goût de la science

Cela, nous le tenons du Pr. Djédjé Mady qui s’est proposé cette semaine, de nous offrir une taxinomie des accords. L’ex porte-parole – et quand même dignitaire du parti qui a inventé la technologie électorale – s’est fendu d’un critère de démarcation : « Le bon accord, c’est celui qu’on applique » (nous en discuterons tout à l’heure, professeur). Karl Popper, lui, disait à peu près que la « la bonne théorie, c’est celle qu’on discute », de sorte que les théories indiscutables, « infalsifiables », devaient être considérées comme relevant de la métaphysique, de la non-science. Ce catalogage, voire, cette exclusion, n’a pas manqué de faire de grands frustrés, les problèmes d’identification ne se posant pas qu’au genre humain.

Des deux grands professeurs que sont Popper et Djédjé, nous retiendrons quelques brillantes citations. De Popper : « Ce n’est pas nous qui créons la distinction entre nombres pairs et impairs : c’est une conséquence inintentionnelle et inévitable de notre création ». De Djédjé : « Le Fpi est un margouillat sur le mur du pouvoir », maxime chamarrée et picaresque comme seul sait en produire l’homme. A celle-ci s’est ajoutée, récemment le suivant aphorisme : « Si Kah Zion et Adjoumani devaient aller à la Maca nous irions tous à la Maca ». (Prière, cher confrère de ne pas l’écouter, l’homme était introuvable le 16 décembre 2006).


Ouagadougou et son bon goût

Le professeur bien aimé prend à revers l’orthodoxie scientifique en prétendant que « le bon accord est celui qu’on applique ». Empiriste de la démesure, Djédjé statue, dans la pure logique utilitariste cher à Protagoras, Gorgias et autres grands noms du show-biz de l’époque. Mais, au fond, n’est-ce pas un peu cela la méthode expérimentale, tirer des conclusions après l’expérience ? Il se trouve, toutefois, que les accords, bien qu’ils se veulent des solutions, ne sont pas des solutions pour tubes à essai, ce sont des règles et comme tel, leur qualité ne dépend pas nécessairement de leur application, mais plutôt de leur applicabilité, c’est –à-dire finalement de leur légitimité.
En faisant reposer la qualité d’un accord sur son application, Djédjé frustre l’accord de son statut normatif. Avec lui, un accord ne tient plus sa qualité de lui-même, mais du bon vouloir des acteurs politiques. Dire qu’ « un accord est bon parce qu’on l’applique » c’est affirmer, que l’accord entre le Reich, je ne sais plus lequel, et le régime de Vichy était bon, parce que respecté, par les parties signataires. C’est tout simplement théoriser l’opportunisme, légitimer le dérèglement, disqualifier les valeurs. Et le paradigme djédjéen est d’autant plus dangereux qu’il n’a pas de noyau dur. Il est flasque, maniable et pliable aux caprices de tous poils.
Il faut remettre Djédjé sur les pieds comme Marx ambitionnait de remettre Hegel sur les siens.

Ouagadougou et un certain goût de l’aventure

L’un des goûts de Ouagadougou, c’est sans doute aussi d’avoir remis au goût du jour, le goût de l’aventure. Ils sont tous allés au Burkina, comme jadis, allaient à Ouaga les victimes (propitiatoires ?) du probatoire. Combien sont-ils à avoir fuit ce mémorable Gôpô de Balla Kéita ? Combien furent-ils à dialoguer directement avec le baccalauréat, sans passer par le mauvais raccourcis du Proba Koula(bac). Certains, venus composer, c’est-à-dire lutter contre leur décomposition, on prétendu être venus pour le Fespaco. Ouaga, est un lieu de diversité socioculturelle et c’est pourquoi certains y sont venus en en marchant, d’autres en courant. Bictogo, on le sait, ne s’est pas rendu à Ouaga à la même allure que Tagro. Certains en sont revenus, d’autres conservent intact leur goût du dépaysement. Un bon accord, est celui qu’on signe sans courir.

Ouagadougou et Mlinklé

Or donc, on pouvait aussi passer par Ouagadougou pour rallier Mlinklé ? Pourquoi alors certains ont-il choisi de nous faire passer par le « sumétière » du 19 septembre ? La liste des mégalopoles parcourues est longue : Paris, Kaklédou, Gléblè, Accra, Pretoria. Aucune chancellerie n’a estimé nécessaire le détour par la nécropole. Tous les chemins menant finalement à Rome, point n’était donc besoin de prendre des armes, pour qu’advinsse, le jour de notre jour. Des dispositions constitutionnelles claires nous permettaient et nous permettent encore aujourd’hui, de discuter ensemble de la direction et du goût à donner à nos lendemains collectifs. C’est une affaire de survie et d’épanouissement commun.

Excellences Lectrices, Excellences Lecteurs, certaines plaies ne guérissent qu’à l’ « indigénat ». Nos amis naturothérapeutes n’aiment pas qu’on nomme ainsi leur riche science. Mais, à vrai dire, il nous appartient tous d’y mettre le prix afin que soient revalorisée aux yeux du monde, notre capacité à guérir, par nous-même, de nos maux. Notre aptitude à nous soigner, nos coûts et à notre goût !

mercredi 16 mai 2007

Service Civique



Une révolution prend ses quartiers sous nos yeux : le service civique national. Comme la plupart des événements qui font date, les choses débutent en toute simplicité, sous les regards sceptiques, voire incrédules de bon nombre de témoins. Le fait se formalise, pourtant, avec la célérité et la rigueur imposées par les exigences de l’histoire.
Mettre l’énergie et le génie de la jeunesse au service du pays, résoudre en profondeur la question du chômage, réapprendre à vivre dans le respect des différences, affermir le sentiment d’appartenance à une même collectivité, restituer aux symboles nationaux leur primauté sur les particularismes…, sont autant de chantiers auxquels le projet entend faire face.


Les dégâts induits par la guerre bien qu’importants ne s’évaluent pas qu’en pertes matérielles. Ce que le député Kabran Appiah a appelé « la déplanification institutionnelle » – avec son corrélat d’incivisme et de maltraitance symbolique – n’a pas été sans effet sur le respect de la chose commune. Ainsi, la création d’un cadre propice à la revalorisation du réflexe citoyen ne saurait être de trop. Surtout quand on sait qu’un tel exercice peut aboutir, à terme, à une vraie capitalisation de la richesse nationale. Certaines lectures hâtives ne voient en cette réalité, qu’un moyen de formation ou d’insertion professionnelle.


Pourtant, l’objet du service civique est plus étendu. Au delà du savoir-faire, il y a l’invitation au savoir vivre. La moralisation, si nécessaire à notre économie nationale et à la bonne gouvernance, trouvent dans le service civique une rampe d’émergence certaine. Et bien que le SCN soit d’impulsion endogène, il se trouve être en phase avec les résolutions onusiennes, théoriquement favorables à la réunification.


S’il est vrai que l’accord de Linas Marcoussis et les arrangements qui l’ont suivi consacrent la nécessité de la réunification, il est tout aussi clair qu’une telle normalisation ne saurait se résumer à un terne replâtrage de fragments territoriaux. Pour avoir une âme, la réunification appelée de tous les vœux devra nécessairement être portée par un fondement théorique, un substrat conceptuel, une base restituant la prépondérance du pacte républicain sur les particularismes.


C’est donc le sentiment d’appartenance commune qu’il s’agit ici de renforcer, sans tomber dans les travers de l’exaltation identitaire, ni faire droit aux douteux slogans d’un appel à la promiscuité. Mené à bien, le service civique, ne pourra, dès lors, que servir de ciment et de ferment au développement d’une Côte-d’Ivoire riche de sa diversité.


Les sycophantes, bien sûr, tout en rappelant que le service civique national n’est pas nouveau, reprochent à l’Etat de Côte-d’Ivoire, de vouloir le réorganiser dans un contexte « de fragilité des institutions et de tâtonnement généralisé de tout notre système » (Nouveau Réveil N° 1557 du samedi 24 et dimanche 25). Voici donc un malade auquel l’on demande de ne surtout pas se soigner, précisément parce qu’il ne va pas bien !


La criminalité d’une telle prescription, ne s’arrête pas là ! Elle s’étale entièrement dans l’absurdité d’une cette autre affirmation « Un service civique ne peut prospérer que là où la majorité du peuple s’identifie dans des symboles forts, là où le peuple sent et comprend l’orientation des politiques entreprises par l’Etat ». Mais si les symboles étaient si forts et enracinés à quoi rimerait leur renforcement dans l’esprit de la majorité ?
Dans un climat d’« osmose civique » qu’est-ce qui viendrait rendre nécessaire l’instauration d’un SCN ?
Selon cette logique renversante, il faudra donc attendre de bien se sentir pour avoir besoin de traitement. Une telle approche, contribution prévisible à la lutte contre la normalisation, ne saurait faire perdre de vue l’importance du service. Il est vrai que l’absurdité reste l’une des constantes essentielles de l’actuelle opposition ivoirienne. Mais de là à vouloir amalgamer vessies et lanternes…


Le président Laurent Gbagbo, analysant la crise actuelle, l’a décrite, avec justesse, comme une crise de l’ignorance. Une telle description s’est vérifiée à plus d’un titre. Les développements de la crise ivoirienne montrent que certaines inflexions et complexifications auraient, sans doute, été amoindries, par un minimum d’assise théorique.


Excellentes Lectrices, Excellences Lecteurs, le Service Civique National n’est peut-être pas une panacée. Mais en dégageant l’horizon conceptuel des générations actuelles, il reste un pari sur l’avenir. En faisant échec à l'ignorance, il referme la porte au nez du sous-développement.

jeudi 10 mai 2007

Je voudrais dire à Monsieur Sarkozy



Monsieur Sarkozy, j’ai appris, hier, que vous vous reposiez, en famille, au large de Malte, sur un yacht loué à Vincent Bolloré pour 173.000 euros la semaine et que certains de vos concitoyens « indignés » par le « luxe ostentatoire » d’une telle retraite essuient, depuis trois jours, le sarcasme de vos partisans. J’ai même lu, dans la presse de votre pays, cette réplique acérée de Eric Woerth, votre trésorier de campagne: « Je ne sais pas si la gauche a remarqué, mais les élections sont terminées »


Vous en conviendrez, c’est de l’actualité française. Il me plait donc de la laisser à son écoulement régulier, afin de m’interroger sur le sens de l’adresse que vous avez émise à l’ endroit de l’ « Afrique », dimanche dernier, place de la Concorde.


Vous avez dit, je m’en souviens : «Je veux lancer un appel à tous les Africains, un appel fraternel pour dire à l'Afrique que nous voulons l'aider; aider l'Afrique à vaincre la maladie, à vaincre la famine, à vaincre la pauvreté, à vivre en paix. Je veux leur dire que nous allons décider ensemble d'une politique d'immigration maîtrisée et d'une politique de développement».

Votre appel s’est dit fraternel et a cru devoir évoquer la « maladie », la « famine » et la « pauvreté » africaines. Votre intérêt va donc, peut-être, à cette Afrique grabataire puisque seule, celle-ci semble avoir été digne de figurer dans votre adresse solennelle. Or l’Afrique, vous le savez bien, a d’autres visages que ceux de la misère, de la famine et de la maladie. Sous ses dehors bienveillants, cette évocation paternaliste de l’Afrique, Monsieur le Président, ne peut que gêner.


Il y a un accent messianique dans le discours de l’homme qui dit «Je veux lancer un appel à tous les Africains, un appel fraternel pour dire à l'Afrique que nous voulons l'aider ». Une telle parole augure des lendemains d’infantilisation et a de quoi surprendre venant de celui qui a pu affirmer « l’Afrique n’est pas le pré-carré, de la France ».


Vous aviez semblé vous poser en homme du renouveau, traitant les pays africains comme des partenaires et non comme des sujets quand vous disiez récemment, « Je ne suis pas de ceux qui s’effrayent de l’expansion économique chinoise ou américaine en Afrique même si nous y avons une histoire, une ambition, des partenaires ». Vous aviez alors semblé défendre l’idée d’une politique économique responsable de la France, et de l’Union européenne, par opposition aux méthodes maffieuses d’une certaine Europe. La France, aviez-vous dit ne « ne doit donc plus hésiter à (…) se doter des mêmes moyens que ses partenaires dans la concurrence internationale. » Au lieu d’un tel discours fondé sur la compétitivité et la performance à quoi avons-nous eu droit dimanche? A une rhétorique messianiste, à une incantation néo-gaullienne pur.


Autant vous le dire franchement, un tel discours me semble mystificateur et anachronique. Non pas parce que l’Afrique aurait résolu à ce jour l’équation de la maladie, de la faim ou de la pauvreté, mais parce que l’Afrique est désormais en droit de ne plus rien attendre des promesses mirobolantes de messies à suffrages.


Monsieur Sarkozy, votre discours Place de la Concorde m’oblige à vous poser les questions suivantes : A quel titre, vous adressez-vous à l’ « Afrique » ? Le statut de Chef d’Etat français donne-t-il, de facto, celui d’interlocuteur d’un continent ? Une Afrique présentée de façon monochrome comme malade et affamée, peut-elle être jamais perçue comme partenaire ? Par ailleurs, comment dois-je comprendre que le 17 avril dernier vous ayez dit au sujet d’un certain chef d’Etat africain : « Je préfère rencontrer un chef d'Etat élu qu'un chef d'Etat qui se prolonge ». Vous ajoutiez à la même occasion, « La solution à la situation en Côte d'Ivoire, ce sont les élections. Les Ivoiriens ont droit à des élections démocratiques, et ces élections auraient du avoir lieu depuis longtemps ». Merci à vous de savoir mieux que nous ce dont nous avons besoin. Mais je pense que ce type d’attitude interventionniste est insultant, pour nombre d’ivoiriens et d’Africains.


Toutefois, j’aimerais moi aussi, vous lancer cet appel fraternel : en vous disant que votre combat contre l’immigration clandestine mérite d’être soutenu, voire universalisé. Je suis de ceux qui pensent qu’en France comme en Côte-d’Ivoire, l’immigration clandestine n’honore personne. Et il faut en sortir.


Les Etats africains n’ont pas le droit d’être complices de ceux de nos frères qui ont décidé de vivre en fraude chez les autres. Nous devons avoir le courage d’admettre que les expulsions d’étrangers, bien qu’elles soient médiatiquement choquantes, ne le sont pas moins que l’entrée par effraction chez autrui. Nous n’avons pas le droit d’être complices d’un droit à la fraude, d’un resquillage aseptisé.


Les terres traditionnelles d’immigration n’ont pas le monopole des devoirs et la meilleure façon pour nos frères d’avoir des droits chez les autres, ce serait déjà d’apprendre à respecter les règles élémentaires de la terre d’accueil : le charter, pour moi, n’est pas plus déshumanisant que les soutes et les cales par lesquels les candidats à l’immigration sauvage envahissent la terre des autres, biaisant leurs statistiques et troublant leur légitime besoin de maîtrise démographique.


En tout cas, tout espérant vous voir revoir bientôt, je formule pour vous et pour votre famille, mes vœux de santé et salue votre sens du réalisme que nous devrions tous chercher à intégrer, au lieu d’attendre, comme certains, d’hypothétiques dividendes de relations personnalisées avec les Sarkozy. Il me semble que vous êtes précisément un contre-exemple du népotisme, un symbole de l’effacement de l’individu au profit de l’idée, du programme.


Je ne suis pas du nombre de vos admirateurs et je m’attendais un peu à ce que certains de vos concitoyens contestent votre victoire. Cela ne fait pas moins de vous, un président légitime. Si la contestation suffisait à vous rendre illégitime, je dirais de vous que vous êtes déjà un président qui « se prolonge ». Vous êtes déjà contestés. L’humilité en guidera sans doute vos pas et propos. Merci encore de ne pas vous « prolonger » sur le yatch de Bolloré et bon retour. Nous aurons d’autres occasions d’échanger, je l’espère. J’attends votre réponse. Et à bientôt.

lundi 7 mai 2007

Mon Papa ne veut pas que je danse la Polka




« Nous interpellons publiquement le président Henri Konan Bédié et son parti, le PDCI, le Président Ouattara et son parti le RDR (…). Les Forces Nouvelles voudraient dire ici clairement qu’elles n’ont pas attendu le G7 pour exister».


Ainsi, face aux messieurs d’Abidjan qui entendaient lui dicter sa voie, Sidiki Konaté, l’homme de Bouaké et nouvel abidjanais, a donc choisi de donner de la voix. On lui reprochait d’avoir dansé, en grande compagnie, à Yopougon…


La polka de Yop


Une danse n’est jamais anodine. Le divin Djati ne disait-il pas que la danse d’un individu révèle « vraiment » sa vision du monde ? On comprend mieux pourquoi la danse de Maty Dollar ne sera jamais celle de Constance, même s’il n’est pas toujours aisé de distinguer les pas de la « Harpe de David » de ceux des « Tueuses ». Le Zouk de Sidiki, lui, est mémorable, car il nous révèle – malgré la distance réglementaire des exécutants – que vivre ensemble, c’est d’abord vivre en phase, ne se reste qu’au sens chorégraphique. La danse, comme la prière, suggère le lieu d’existence de nos muses : « Si la danse classique qui fait la fierté de l’Occident est centrée sur le haut et le ciel alors que les nôtres le sont sur le bas et la terre, c’est à nous qu’il revient d’en comprendre le sens et l’intérêt ; si celle-là fait l’apologie de la rationalité et de l’abstraction, celle-ci est renouvellement de la solidarité avec la nature et servira sûrement de base future à une conscience écologique que l’Occident nous enviera. Les enjeux humains et écologiques sont grands. Ne méprisons pas nos pieds, assurons nos pas », affirme, lumineux, le Maître, dans l’apologie à Tiagouri Tapé.

Sidiki, en tout cas, sans avoir la tête d’un écolo, montre bien qu’il a les yeux rivés sur ses souliers, contrairement aux tuteurs apostrophés. A la belle époque de Bata, on aurait dit « pas un pas sans suiveurs », mais voilà qu’on en est tristement à dire, « pas un suiveur, sans pas ». Ce n’est ni la faute à Konaté, ni celle à Tiagouri. On ne peut graisser la patte à l’histoire !

Le Caïman et le Pipi

Le réservoir symbolique des acteurs ivoiriens est un sacré bestiaire. Du Bélier de Yamoussoukro au Sphinx de Daoukro, la généalogie est longue. On peut rire du bêlement des agnelets quand d’autres se sentent des Lions du RDA. Mais certains moutons ont la canine plus acérée que celles des fauves officiels, le choc est alors poussé à la totale. Considérons donc l’avertissement de Gueu Dro : on ne juge de la venimosité d’un serpent ni à sa taille, ni à sa forme. D’ailleurs, les prenant pour ses poussins, le Ministre Soumahoro du RDR a certainement mal jaugé les Forces Nouvelles. Il est accusé d’avoir affirmé qu’elles sont « le pipi » de son parti. Sécrétion infertile ! C’est dire toute la jouissance du RDR.
Par conscience écologique, on parlait hier, de fleuves jetés à la mer. Aujourd’hui, nous en sommes à boire de l’urine. Et Konaté Sidiki n’est pas content d’une telle plongée de notre débat national. Il a tranché la question d’une éloquence univoque : « Les forces nouvelles ne sont pas le pipi de quelqu’un » ! Un démenti aussi castrant n’amusera pas ceux qui ont choisi de faire pipi dans la piscine. On voyait leur dos, mais qui soupçonnait que ces pisseurs nous le montraient pour mieux gâter nos eaux. Aujourd’hui tout est rentré dans l’ordre puisque, personne ne reconnaît avoir tenu un tel propos.
Sidiki qui était profondément indigné par cette affaire de pipi au long cours, affirme s’être rapproché du Ministre Soumahoro qui a certifié n’avoir jamais tenu le propos incriminé. Alors, ni pipi, ni caïman. Tout le monde il a joli. Tout le monde il a content ! Youpi !
La parenthèse urinaire se referme non sans décrire une parabole d’insolence. Désormais, les répliques seront cinglantes semble dire Sidiki. Et ce n’est pas ce que dira le père qui empêchera les enfants de danser la Polka.

Il dira ce qu’il voudra…

En Côte-d’Ivoire, la Polka est connue grâce à une chanson d’enfants : « Mon papa /ne veut pas/ que je danse/ la Polka. Il dira/ ce qu’il voudra,/ moi, je danse/ la Polka ». Hymne de désobéissance, la Polka devient ode à l’insubordination. Elle se dresse contre l’autorité des pères castrateurs et invite à leur tenir tête. Il n’est plus question de se soumettre aux géniteurs masqués. La polka, est une danse de couple, exécutée avec entrain, voire frénésie. Rien à voir avec nos paresseux slows actuels. Elle est à l'origine une danse folklorique de Bohême (actuellement en République tchèque). Les couples la dansent en tournant ensemble, sur un rythme infernal, en série de séquences simples : pose du pied, rapprochement, pose du pied, pas sauté. « La musique est à deux temps, avec un temps faible marqué », soulignent les spécialistes. Mais puisqu’elle est danse de couple, les pères voient en elle, une prise d’autonomie. Qui danse la Polka, mime le jeu des adultes, s’invite au cercle des initiés. Certains pères ont, semble-t-il, l’horrible coutume d’accompagner leurs propres filles aux linteaux sacrés. « Accompagner à l’autel », n’est pas « accompagner à l’hôtel ». Quand même !


Sidiki a décidé de danser. D’être. De vivre. Tout simplement. Autrement que par procuration.

« Je danse donc je suis », disait Maurice Béjart. Refusera-t-on, aux autres, le droit d’être ? Le leur refusera-t-on, après avoir chanté à tous les tons la chansonnette du vivre ensemble ?
Certaines danses nous font sautiller, d’autres nous permettent d’entrer en nous même, quitte à nous d’en ressortir sous la forme d’un alligator ou de pet. C’est aussi cela la libre expression. La démocratie naturante !