jeudi 28 juin 2007

Histoires de juin


Alors que nous en étions à nous remémorer l’ « appel du 18 juin », ce grand moment de notre histoire collective – français de souche ou descendants de colonisés – nous avons reçu la visite de deux juges français. Ces juges voulaient entendre certains de nos concitoyens sur les journées chaudes qui ont vu le départ de nombreux immigrés français en 2004. Finalement, personne, en ce mois de juin, n’a été entendu. L’opinion ivoirienne s’est donc « affairée » à commenter la répartition des 100 milliards des déchets toxiques, quand elle voulait bien lâcher, par interstice, la rocambolesque histoire du nommé Atayi Codja, alias Armand Guédégbé ou encore Armand Béhanzin.
Le plus cocasse c’est qu’en fin de compte, l’affaire Guédégbé partage avec l’histoire des résistants français, une date : le 21 juin. Cette date-là a vu l’arrestation, à Grand-Bassam, de l’ancien prêtre Vodou. 64 ans plus tôt, jour pour jour, était arrêté à Caluire-et-Cuire, dans la banlieue de Lyon, Jean Moulin, patron de la Résistance française.

Il est clair que les deux histoires n’ont ni la même portée, ni le même intérêt. Nous ne choisirons donc de nous étendre que sur la plus importante, à nos yeux. Celle-ci débute, comme il se doit, en juin. A l’appel d’un homme, le Général De gaulle. Son pays, en proie à une guerre sans précédent, essuie la raclée d’acier d’adversaires farouches : c’est la capitulation, ce 17 juin 1940. De gaulle qui n’entend pas les choses de cette façon, se retire à Londres d’où il lance son fameux appel à la résistance française. L’homme reconnait dans son adresse, la supériorité « mécanique » de l’ennemi, mais estime, en revanche, que la France ne doit, en aucun cas, baisser les bras devant l’adversité. Quatre années plus tard, la France obtient gain de cause et c’est la Libération.


Depuis, De gaulle est universellement reconnu comme le symbole de la résistance française. Mais son long séjour en Angleterre a pu être interprété, par plus d’un, comme un acte de capitulation. De nombreuses figures de la résistance étaient restées dans la France violée et immolée des années nazies, vivant au quotidien les affres de la domination allemande avec leurs concitoyens. Jean Moulin, premier Président du Conseil National de la Résistance fut l’un de ceux qui payèrent au prix fort, l’engagement frontal avec l’ogre Nazi. Il choisit de rester en France pour y mener le combat. C’est là qu’il tombera, les armes à la main, encorné par les fourches hitlériennes, à 44 ans. Son œuvre aura-t-elle, pour autant, été plus immense ou plus décisive que celle de De gaulle, cet autre résistant qui vécut octogénaire pour avoir su trouver le chemin de l’Angleterre ? La quête mécanique de martyrs est-elle productive pour nos espérances ? Il n’est pas certain que Moulin ait été meilleur résistant que De gaulle.


D’ailleurs, depuis la Libération, ce n’est ni la naissance de Jean Moulin, ni son arrestation le 21 juin, ni sa mort survenue par immolation, le 8 juillet que célèbre la France reconnaissante. C’est l’appel du 18 juin, la simple annonce radiodiffusée, d’un réfugié – replié, certes, mais lucide dans son parcours politique et son positionnement stratégique – qui sert de lieu de souvenir à la France réhabilitée. La mort au combat, aussi valorisante qu’elle soit, n’a jamais été la marque la plus évidente de l’espérance. Combien d’Africains sommes-nous à connaitre Jean Moulin, le président du Conseil de la Résistance ? Combien sommes-nous à savoir que ce français a été arrêté le 17 juin 1940 pour avoir refusé de signer, sous la pression des Nazi, un texte accusant de méfaits les troupes africaines de la France ?


De gaulle a survécu. C’est à lui que reviennent les honneurs. Jusqu’à ce jour, c’est à lui que la France libre affirme devoir sa grande aventure de liberté. Il n’a jamais été martyr.
On peut chercher à savoir pourquoi le débarquement de Normandie, épilogue de la lutte héroïque des résistants français n’a eu lieu seulement qu’en 1944. Qu’attendaient De gaulle et autres grandes figures de la résistance pour libérer leur pays du joug de l’Allemagne Nazie ? Pourquoi c’est seulement en 1944, soit 4 ans après l’installation nazie que sont arrivés ces parachutistes des berges de Normandie ?


C’est certainement parce que les conditions historiques, la conjoncture politique internationale et endogène n’étaient pas favorables avant cette date. L’action, qu’elle soit de résistance ou révolutionnaire, ne saurait s’improviser, au risque d’être improductive. Elle s’inscrit dans un ordre d’intelligibilité nécessairement inaccessible aux approches émotionnelles de l’histoire. Novembre 2004 offrait, nous dit-on, l’occasion d’en finir avec la France. Trêve de mystification : chaque jour qui passe nous offre un rendez-vous avec l’histoire. Le premier fou qui irait jeter une grenade au dessus de la clôture d’une certaine ambassade aurait pris un rendez-vous avec l’histoire. Je suis seulement curieux de voir la productivité d’un tel acte.


Par ailleurs, la pire injure que l’on puisse faire aux disparus de novembre 2004 serait d’instrumentaliser leur mémoire. Personne n’a le doit d’utiliser comme combustible, le sang de l’esplanade de l’hôtel Ivoire. Comment alors ne pas être de ceux qui comme Théophile Kouamouo parlent de l’épisode de novembre 2004 et plus généralement de la mort des autres, avec beaucoup de lyrisme.


Peut-être devrais-je, un jour, m’ excuser de m’ être couché sur l’asphalte embrasé, ce 9 novembre 2004, alors que sifflaient les balles françaises dans l’air surchauffé. A ceux qui purent accueillir ces balles debout, je concède, volontiers, le droit de dire avec le fondateur du RDR « Ne nous attardons pas sur les morts ».


Excellences Lectrices, Excellences Lecteurs, De gaulle – même au plus fort de la crise d’hystérie la plus éculée – n’aurait jamais osé se prendre ni pour un immortel, ni pour l’unité de mesure de l’audace. Son exil témoignera, du reste, de notre commune humanité faite quelquefois de doutes, de replis et de stations.


Nous le savons désormais tous : il y a eu l’histoire du repli sur Londres, mais aussi celle du retour d’Italie. En 2002, il y avait encore de la place à Londres ou à Rome. Mais un homme est rentré sous ces cieux en furie, qui n’avait pour lui que la foi en une Côte-d’Ivoire meilleure. Dieu me garde de la mégalomanie de lui faire jamais injure ! Le gaulliste Chirac eut la bonne idée de lui proposer la bonne vieille recette familiale. Nous sommes tous témoins du choix qui fut le sien.

Le chantage a son efficacité. En revanche, sommes-nous obligés d’investir dans la sphère collective l’amertume mal commandée de nos considérations de rente ? Personnellement je refuse d’être l’un des destinataires de cette interrogation indignée de Bob Marley « How long shall they kill our prophets » ? Il est évident que nos petites mesquineries ne sont pas des foudres. Mais ne feraient-elles pas de nous, pour autant, les dindons d’une certaine farce ?

jeudi 21 juin 2007

Ouagadougou, Smith et le Machin


Plus de 100 jours après la fin du dialogue direct, aucune résolution onusienne n’est encore venue appuyer l’arrangement de Ouaga. Il y a eu, bien sûr, quelques déclarations, couplets radiogéniques au détour de plateaux convenus. Mais Marcoussis avait eu plus de chance ! Premiers vagissements parisiens et l’Onu ouvrait, grandement, le registre de la béatification.
Ce fut d’abord la 1460, 30 janvier 2003, auréole à la quatrième vitesse à un accord signé seulement 7 jours plus tôt.
Même célérité pour la 1464, seulement cinq jours après la précédente, puis la 1467, le 18 mars de la même année, variations onusiennes sur le même thème, la rhétorique en étant finalement ritualisée : ferme attachement à la souveraineté, réaffirmation de l’indépendance, intégrité territoriale, opposition à toute tentative visant à saisir le pouvoir par des moyens « inconstitutionnels », principes de bon voisinage, de non-ingérence et de coopération régional.

Puis vint à Abidjan, un jour, la bonne idée de se faire soigner à l’ « indigénat ». Cent jours donc que nos amours burkinabés – faut-il qu’il nous en souvienne – coulent sous le pont De gaulle et le magistrat onusien en reste coi. La forte délégation onusienne séjournant en ce moment en Côte-d’Ivoire a-t-elle le projet de faire mentir cette présomption ?

D’ailleurs, qu’est-ce qui vaudrait à la romance Ouagalaise de ne pas être aussi passionnante que sa jumelle française ? Son ancrage afro-africain ? Sa contestation tacite d’une malédiction africaine ? Sa façon si ouverte de prendre à contre-pied la catéchèse « Négrologique » ? Les idées dont se fait porteur, Stephen Smith expliqueraient à grands traits, le peu de succès de l’initiative négro-nègre de Ouaga ? Que l’accord burkinabé ne jouisse pas du même crédit que celui français se comprend, si l’on évalue le monde sur la base des axiomes smithiens, largement répandus dans l’imagerie occidentale.

Pour Stephen Smith, l’Afrique est une grande zone d’incapables, de sorte que : « Si l’on remplaçait la population – à peu près équivalente – du Nigéria pétrolier par celle du Japon pauvre, ou celle de la République démocratique du Congo par celle de la France, il n’y aurait plus guère de souci à se faire pour l’avenir du ‘géant de l’Afrique noire’, ni de l’ex-Zaïre. De même, si six millions d’Israéliens pouvaient, par un échange standard démographique, prendre la place des Tchadiens à peine plus nombreux, le Tibesti fleurirait et une Mésopotamie africaine naîtrait sur les terres fertiles entre le Logone et le Chari. Qu’est-ce à dire ? Que les Africains sont des incapables pauvres d’esprit, des êtres inférieurs ? Sûrement pas. Seulement, leur civilisation matérielle, leur organisation sociale et leur culture politique constituent des freins au développement… ».
Alors comment espérer d’une opinion peu indignée par les thèses biscornues précitées, qu’elle voie du même œil Ouaga et Paris. Non, il n’y a pas d’Arc de triomphe au pays des hommes intègres, pas plus qu’une Table ronde n’est un dialogue direct. Non, Ouaga n’est pas Paris, autrement Gbagbo et Soro auraient été de sérieux candidats au prix Suédois longtemps convoité par Houphouët. Et même quand l’accord de Ouaga viendrait à être appuyée d’une résolution onusienne, il ne serait jamais perçu par la Communauté dite internationale comme ce beau texte français, né en 2003 , à Paris, en temps de neige, emmailloté et chéri par le Machin, comme sauveur à noël.

Mais ce ne sera certainement pas en pleurnichant que l’Afrique et ses productions se verraient auréolées de crédibilité. Il faudra certainement d’autres « accords de Ouaga », non plus seulement au sens politique, mais plus, au sens économique, culturel, stratégique, partenariat fondé sur un socle local et s’imposant par leur rigueur et l’ambition de leur concepteurs.

A ce jour, le fossile ferroviaire Abidjan-Niger devrait déjà avoir vu fleurir un long réseau de voies parcourant l’Afrique d’est en ouest, du Sud au Nord. L’autoroute Abidjan-Johannesburg, épuisé de ne desservir que les songes devrait déjà avoir innervé le continent d’un nouveau champ de relations. Le chemin de fer Nairobi-Libreville, lui, attend toujours ses trains à grande vitesse et s’inquiète de la trop grande lenteur des fils du continent à l’arracher à sa nasse onirique.

Le grand centre de recherche inter africain sur les pandémies du siècle n’a toujours pas déballé ses tubes à essai et sondes. Les blouses de ses chercheurs, accrochées, depuis des lustres, aux pieux de voeux en éternelles chrysalides, virent à l’ocre. Il faut dépoussiérer le vieux rêve des patriotes africains. Félix Moumié, Ruben Nyobé, Biaka Boda, Ouézzin Coulibaly n’imaginaient pas, en mourant, un continent aussi pauvre que celui de 2007.

Oui, l’Onu et l’UNESCO existent bien, portant en bandoulière leur bonne dose de philanthropie. Mais personne ne viendra résoudre pour notre continent les équations de son quotidien, personne ne viendra dessiner, à sa place, son futur. C’est dans la solidarité, dans l’élan communautaire, la conscience patrimoniale aiguisée que l’Afrique pourra relever les défis actuels.

En 2001, certains pays africains avaient développé le concept de « Nouveau partenariat pour le développement africain ». Ce partenariat avait-on dit, était né de la fusion du plan « Omega » du Président sénégalais Abdoulaye Wade et du « Programme de renaissance de l'Afrique pour le millénaire » de son homologue Thabo Mbeki, en collaboration avec ses pairs algérien et nigérian. Bien d’espoirs avaient été suscités par ce projet. Puis la grande chape de silence c’était abattue.
Quelques temps plus tard, il était question de Nepad. Un silence plus lourd avait surgit.
Excellences Lectrices, Excellences Lecteurs, ce continent nôtre a envers son passé son passé et son avenir un devoir : développer par lui-même les stratégies de sa renaissance. Toute la glose raciste dont l’abreuve certains « spécialistes » de l’Afrique, surreprésentées dans les instances internationales, ne sera éradiquée que par une prise en main vigoureuse de l’Afrique par ses fils. Un tel devoir attend chaque africain, quelles que soient sa nationalité et sa condition sociale. Devoir historique, exigence actuelle, obligation envers l’avenir.

jeudi 14 juin 2007

Godogoli ?


Cette histoire aurait pu être une allégorie. Discours sapiential professé à la belle étoile, sous l’un de nos légendaires arbres à palabres. Elle aurait pu aussi être une fable, historiette truculente, servie entre deux gorgées, au cours de comices pascales. Mais voici que le fait a choisi d’être authentique. Il met donc en scène des personnages réels, au sein d’une commune un peu mythique pour avoir vu naître de fabuleux artistes : Alpha Blondy, Ernst Koffi et – sous réserve d’une confirmation de Tia Koné – d’autres grandes orgues !


C’est donc à Dimbokro, nous rapporte un quotidien ivoirien, que ce 31 mai 2007 deux notables du village d’Adjoumanikro font l’amère expérience de l’angoisse métaphysique, rendue paroxystique par ce que Nietzsche aurait appelé la mort de Dieu. Aux prises avec des problèmes personnels, en ces temps d’hivernage meurtrier, les deux dignitaires entendent consulter Godogoli, la divinité tutélaire du village, soigneusement conservée par le bienheureux Nanan Konan Kouamé, chef d’Adjoumanikro.


Le culte ancestral étant ordonné selon un rituel bien précis, les notables ne se rendront pas chez le chef du village où réside pourtant Godogoli, mais se déporteront chez le « Komian », le prêtre, médiateur entre la cité des humains et la divinité. Pourtant, voici que, stupeur des stupeurs, chez les Komian, comme à la poste de Côte-d’Ivoire, le service connaît quelques perturbations, en cette fin du mois de mai.
Et ni la diplomatie, ni le charisme, ni même la taille du Komian – il s’appelle Kouadio De Gaulle – ne parviennent à empêcher l’interruption du service. C’est que Godogoli, le gardien des nuits et des jours d’Adjoumanikro se tait, s’emmure, indifférent aux invocations du prêtre.


C’est en tout cas ce que révèle l'officiant à ses deux interlocuteurs, non sans leur indiquer la cause d’un tel silence : Godogoli est absent du village et refuse, dans de telles conditions, de donner suite aux cas exposés.


Une pareille révélation a l’effet d’une bombe et c’est donc d’un pas impétueux que les deux notables rallient, pour avoir le cœur net, le domicile de Nanan Konan Kouamé, chef d’Adjoumanikro et gardien de la divinité. Passé les salamalecs et autres amabilités fadasses, les notables demandent à voir Godogoli, mais le bienheureux Konan Kouamé, transpirant à grosses rives, marmonne, dans un baoulé sans conviction, quelques arguments de paille, avant de se mettre à table.


Oui, il a bien vendu Godogoli, Godogoli la divinité tutélaire d’Adjoumanikro. Oui il a cédé Godogoli pour quatre millions. Oui, quatre, mais « Yatchi », pour l’instant l’acquéreur ne lui aurait versé que la minable somme de 300. 000 Fr.…
Fureur et consternation à Adjoumanikro, Kouamé Konan est vite destitué ! Un bœuf, deux moutons, deux poulets, quatre casiers de vin et 40 litres de vin de palme, tel est le sacrifice qui, répandu, purifiera Adjoumanikro du délit de bradage de divinité !
Happy end, en somme, si l’on en juge à ce qu’aurait pu subir, sous d’autres cieux, l’auteur d’un tel sacrilège.

Mais au fond, cette affaire ne (re)pose-t-telle pas le problème du rapport de l’Afrique à l’héritage? Notre continent semble si particulièrement attaché aux legs. Il n’y a qu’à voir le nombre des réunions consacrées aux questions d’héritage, tout comme celui des étoiles pulvérisées de s’être trop approchées de patrimoines antiques, pour comprendre l’intérêt accordé à la chose.


Le drame, cependant, semble résider dans la valeur affectée aux objets légués. Le frère dont le regard impudique furète le domicile d’un aîné, voire même d’un cadet, en mauvaise posture médicale, ne recherche rien d’autres que des meubles, de la vaisselle, des fringues. Tout ceci n’a, pour lui, d’autre valeur que matérielle... Il peut donc liquider, à tour de bras, meubles, sandales, terres, vaisselles, sans l’ombre d’un regret. Les problèmes fonciers rencontrés ces dernières années ne sont-ils pas l'« héritage » d’une certaine inconscience patrimoniale ?


Notre Etat, nos institutions, notre constitution, nos armoiries et nos valeurs, taillées aux forges d’un passé collectif peuvent-ils être bradés ? N’avons-nous pas le devoir d’en assurer la pérennité, l’entretien ou l’éventuel émondage, dans le pur respect du passé, comme le fils coiffant, respectueux, le père octogénaire, respecterait même les touffes au sol, bien qu’elles fussent promises à être jetées ?
Mais si l’héritage peut-être politique, il peut aussi être culturel ou religieux.


C’est au regard de telles réalités qu’il nous est difficile d’apprécier l’exhibition pornographique à la quelle s’adonne depuis quelques temps un certain Armand Béhanzin. Il nous a semblé que les religions, et particulièrement le christianisme avaient développé une éthique, une déontologie de la gestion des différends. Les nouveaux convertis devraient s’imprégner des trésors d’une telle axiologie, au lieu de transposer dans le champs de la chrétienté, les méthodes cavalières et rugueuses importées de charivaris fétichistes. Il n’y a aucun respect de la vieille institution ecclésiale dans le strip à Béhanzin.


Que visaient Béhanzin et ses proxénètes par cette « dénonciation » ? La gloire du Christ ? L’avancement de l’Eglise ? L’objectif est-il à présent atteint ? Une chose est sure : un autre opprobre vient d’être jeté sur l’institution ecclésiale, héritage d’une longue tradition missionnaire pour laquelle des générations d’hommes et de femmes engagés auront sacrifié vie et carrière. Même si l’on ne partageait pas leur engagement, il était important de le révérer.


Excellences Lectrices, Excellences Lecteurs, à l’heure où Godogoli a été vendu à des inconnus, méditons ensemble sur l’héritage que nous laissent les suppliciés de novembre 2004. Saurons-nous fouler aux pieds leur sacrifice sans être coupables envers leur mémoire ? Quelle que soit la teneur des négociations, il nous faudrait avoir à l’esprit la valeur de leur sacrifice.

jeudi 7 juin 2007

Les cinq autres buts à marquer

En route vers les phases finales de la Coupe d’Afrique des Nations, l’équipe nationale de Côte-d’Ivoire, s’est offerte, dimanche, sans aucune difficulté, une autre victoire sur la sélection malgache : 5 buts à 0. Il est clair que par delà les questions de corners, de remise en jeu et de coups francs, l’enjeu en était à la consolidation des acquis de la réconciliation. Et dimanche, fête des mères, la fille prodigue a semblé célébrer la mère patrie, chantant, au son des cuivres de la Garde Républicaine, les mots sacrés de notre hymne national.

Belle fut la fête, totale la communion. Le public joua sa partition, les forces bouakéenes la leur, elles qui surent, à coup de franches poursuites, mettre au pas des supporters par trop enthousiastes. Les buts furent aussi au rendez-vous. Ceux de Kalou et des autres, vibrantes occasions de communion, moments de joie partagée comme la Côte-d’Ivoire aurait souhaité en vivre au quotidien.

Mais voici que les lampions se sont éteints sur le stade de Bouaké, que les malgaches laminés ont rejoint leur lointaine île et que nous voilà, de nouveau, face à nous-mêmes, condamnés à remporter, collectivement, le match-retour contre nos propres habitudes.

Cette compétition, au grand dam des manichéens, n’oppose pas nécessairement un camp à un autre, mais chaque citoyen à lui-même. Chacun étant invité à croiser le fer avec ses propres réflexes, peurs et dispositions, dans un duel au bout duquel devra germer une Côte-d’Ivoire meilleure.


Certains avaient souhaité, de tout cœur, une franche empoignade entre camps protagonistes de la crise ivoirienne. Cela, argumentent-ils, aurait situé chacun sur les capacités des différents camps et aurait mis fin à la situation de ni paix ni guerre, si éprouvante pour l’économie nationale et la santé mentale de tous.


Hélas, l’histoire nous apprend que toute posture revancharde n’est pas nécessairement servie dans ses aspirations. Mieux, quand elle l’est, rien ne permet de penser que la tournure des événements n’incline pas au regret, vu l’immensité et l’avalanche des drames alors vécus.


La France, à l’issue de sa capitulation de 1871, a mangé le pain aigre de ce que les historiens ont appelé le Revanchisme. Certaines personnalités françaises, elles mêmes empoisonnées du fiel d’une rancœur incoercible, ont distillé dans l’opinion le mythe d’une nécessité de vengeance.


Même le système éducatif a été mis à contribution, pour les besoins enragés de la soif. C’est connu et démontré : les trésors de la haine sédimentée ont armé cette main de Raoul Villain qui a assassiné Jaurès, pour ses positions pacifistes. La première guerre mondiale, tout comme la deuxième, est fille des extrémismes. Il n’y a donc pas de ligne de fracture particulière entre l’acte du bien nommé Villain et celui des nos chantres locaux de l’extrémisme.

Leur tournant le dos, nos Eléphants, décomplexés et pédagogues ont fait de Bouaké, le centre de notre convergence. Ils ont joué leur partition, mais il nous reste encore cinq autres buts à marquer, le premier de la série, étant, me semble-t-il, celui contre la corruption.


La tare n’est pas nouvelle, mais elle semble prendre des proportions inquiétantes dans notre contexte de fragilisation institutionnelle. Nouvelle icône de la critique facile, la corruption est une lame de fond, sédimentation d’une longue tradition d’impunité. Nombreux sont, en effet, les candidats aux concours de la Fonction Publique, que l’ont retrouve aujourd’hui démotivés par la perspective de se voir évalués sur la base d’autres critères que ceux académiques. Aux abords des routes, c’est un poncif, le racket règle la circulation. Dans les hôpitaux publics, les choses ne sont pas toujours meilleures. Et la critique de notre société, sur ce point, a toute sa place, même s’il convient de souligner que la lutte contre la corruption est une question de volonté individuelle avant d’être celle d’une quelconque volonté publique ou politique.

Près du « but » contre la corruption, il y a celui contre le tribalisme. Cette tare constitue aussi l’une de celles contre lesquelles, il faudra marquer pour assurer à notre pays la compétitivité requise aux nations émergentes. Ce que l’on a appelé la partition de la Côte-d’Ivoire, est essentiellement lié à des considérations d’ordre régionaliste. Une certaine prédation internationale s’y est greffée, mais avant ces cinq dernières années, notre scène politique a révélé des penchants régionalistes assez visibles. Ironie des faits, la guerre de la Caravane de la… paix serait un autre épisode de la tribalisation de notre débat national. Alors que le « Maréchal » et le « Général » nous avaient fait oublier de vieux antagonismes, voici qu’il va falloir nous remémorer les rudiments de la vie en cohésion.

La pluralité est une richesse et un discours unitaire et monolithique ne viendrait qu’appauvrir nos esprits et faire le lit au totalitarisme. Cependant, il semble, qu’il nous faut acquérir, chacun à son niveau, un sens de la nuance, une aptitude à la relativisation, capacité par laquelle l’ « honnête homme » diffère du cuistre, l’érudit du béotien.


Le troisième but à marquer, serait ainsi celui contre les extrémismes. Postures épidermiques accoudées à de naines évaluations de la dynamique historique, les vues extrémistes ne sont pas toujours les plus audacieuses. Quelquefois fascinantes par leur apparence d’héroïsme, elles sont bien souvent des élans suicidaires, marques d’une démission plus radicale que celle attribuée, à tort, au pacifisme.

Quatrième but : celui contre la rancœur qui brouille la vue à tant de nos concitoyens. Marquer un tel but nous permettrait de mieux aborder la lutte contre nos propres tares. Comment ne pas réinvestir toute l’énergie de nos plaintes dans la bataille contre nos propres excès ? Comment ne pas, enfin, nous remettre, chacun à son niveau, de l’illusion d’immaculation ?


Ces quatre buts marqués, restera le cinquième : celui contre l’amnésie. S’il faut tourner la page de la peine, rejeter bien loin la tentation de la rancœur, faut-il, pour autant, oublier? Ne pas se souvenir, ne serait-ce pas déjà être complices de la résurgences des vieux démons ? Le but contre l’amnésie, précieux but, devrait être marqué, par la réalisation d’un fond documentaire, mémoire de résistance, par laquelle les générations avenir n’auraient pas à perpétuer les écueils qui auront été les nôtres sur ce chemin de la vie nationale. Tout ceci appartient à la catégorie du futur.


Mais pour l’heure, tout porte à croire que nous sommes menés à la marque !