jeudi 30 août 2007

Le boulet des frontières

L’Afrique peut-elle émerger en s’agrippant aux frontières héritées de la colonisation ? Les enjeux économiques actuels autorisent-ils les pays africains à se contenter des parcelles étriquées acquises par le jeu d’intérêt exogènes ? Pour nous, la réponse est « non » ! Morcelé en une infinité de fragments, l’Afrique n’en est pas moins unique dans ses fondamentaux et tangible dans ses constantes, même si elle offre l’image d’une terre étrangère à elle-même, parfaitement sourde à sa propre voix, aphone sur les sujets de son vécu. Perdu dans sa vaisselle étatiste, notre continent peine encore à passer des domesticités et autres « localités » à une approche synthétique de ses problématiques. Ce qui rend l’uranium du Niger extorquable – dans la plus grande intimité familiale « françafricaine » – est aussi ce qui rend possible la fusillade de 70 africains par des soldats étrangers, à l’Hôtel Ivoire, sans indignation à l’échelle continentale.

Le fait est que les Etats hérités de la colonisation ont derrière eux leur intérêt et leur temps. L’Afrique, avant d’être morcelé sous le mode colonial, était bien plurielle et diverse. N’étant pas, loin s’en faut, le modèle d’unité ou de solidarité que tente de vendre un romantisme bon-marché, le continent, au sens unitaire, n’existait, manifestement, que dans sa dimension géographique. La colonisation a donné lieu à une nouvelle communauté de destin et celle-ci a débouché sur la formation d’un patriotisme généralement circonscrit aux frontières importées.

La donne patriotique locale a d’ailleurs permis de mettre à mal, d’une manière ou d’une autre, la mainmise de l’empire colonial, avant de devenir, par quelque exacerbation, un véritable boulet aux pieds du continent.

Or, voici que l’Afrique possède aujourd’hui une société d’hommes et de femmes suffisamment instruits des enjeux planétaires. Voici que les frontières de nos petits Etats se révèlent être des camisoles de force sous lesquelles s’asphyxient d’immenses virtualités fractionnées. Comment réussir à créer la synergie des forces éparpillées ? Comment fallait-il expliquer à un camerounais et à un Nigérian que la querelle autours de la presqu’île de Bakassi, n’en valait pas la peine ? Comment faudra-t-il dire aux voisins de la Côte-d’Ivoire que cette histoire de charnier identitaire sort tout droit de la tête de Benoit Schauer ? Et comment faudra-t-il faire comprendre aux ivoiriens qu’ils devront bien un jour oublier ces histoires de Bceao à dominer de toute éternité ?

Et comment faudra-t-il dire aux sénégalais, sans les vexer, qu’il n’y a aucun mérite à avoir été la capitale de l’Afrique Occidentale Française ? Et comment passer du nationalisme local au patriotisme continental ? En somme, comment faudra-t-il contourner le piège des mascottes africaines de l’Europe néocoloniale ? Comment devrons-nous mettre fin à la mainmise des Etats-nabots sur les leviers de communication et de formation de la société africaine ?
On le sait les tenants du pouvoir en Afrique, comme ailleurs du reste, sont généralement tenus en laisse par des pouvoirs d’argent qui leur impose une feuille de route, en déphasage avec les intérêts des populations locales. Cet état de fait, induit plus d’une incongruité dans la gestion quotidienne des Etats. C’est pourquoi, une multiplication d’acteurs échappant au contrôle des institutions classiques s’impose. La race de femmes et d’hommes que l’on a appelés, en son temps, « la société civile », a aujourd’hui le devoir d’apporter, à l’échelle continentale, son appui à l’Etat noyauté.

Parce que l’Etat africain vit et se développe dans une zone de grandes endémies morales, il est du devoir de cette race d’hommes de proposer une alternative à l’Etat pianoté. Dans la mise en œuvre d’un tel projet, les acteurs libres doivent chercher à insuffler à l’institution académique une nouvelle dynamique. Il est entendu que l’éducation joue un rôle essentiel dans la formation d’une conscience populaire, il faut alors éviter un académisme mécanisé, école sans âme, ni concept formant l’individu sans visée claire.

Si l’école publique, en deux générations, s’est montrée inapte à forger un citoyen rigoureux et intègre, l’école privée et particulièrement, celle confessionnelle devrait aujourd’hui s’approprier sa vocation naturelle de moralisation de la société. Sur ce terrain, l’on est bien loin du compte.
L’Afrique a un double challenge éducatif à relever : travailler à l’émergence d’une conscience civique continentale, œuvrer à la moralisation des masses, dans un système administratif complètement putréfié.

Notre réel accès à la mondialisation ne s’improvisera pas. Quel Etat pourra s’imposer comme acteur significatif de la mondialisation, sans être passé par la loge de la continentalisation ? Imagine-t-on une universalisation sans propédeutique ? C’est sûr qu’il manquera toujours une étape dans le cheminement d’un Etat qui croirait aller à la mondialisation, sans passer par le moment du Continent : vouloir aller à la mondialisation, sans franchir le quai du continent, serait se condamner à passer du stade d’Etat-nabot à celui d’Etat-cabot.

Excellences Lectrices, Excellences Lecteurs, dans certains milieux, l’on tend, de plus en plus, à nier la race ou toute différence identitaire, derrière le masque trompeur d’un universalisme tout théorique. Mais une lecture, même expéditive, de l’histoire révèle que les différences ont la peau dure. Quand la race ne fait plus recette, c’est la classe qui fait des siennes. Même à l’intérieur d’une même chapelle idéologique, l’exégèse conduit presque toujours à la multiplicité des convictions. La différence ne peut donc être niée. Tenter de le faire, serait à la fois révisionnisme et inconséquence existentielle.

Si l’on ne peut gommer radicalement la différence – et si l’Afrique est ce qui a été et qui demeurera quand nos Etats étriqués ne seront plus – les africains gagneraient à donner un contenu plus respectable à leur continent ! Au bout du compte, la mondialisation ne serait jamais un ogre pour un continent ayant su assurer ses pas.

jeudi 23 août 2007

Quand la presse oppresse

Les divers échanges entre autorités et soldats loyalistes, ces deux dernières semaines, ont bénéficié d’un traitement médiatique spécial. Une bonne partie de la presse nationale s’est montrée relativement vive dans son traitement de cette actualité. Des confrères et collègues avec lesquels nous avons échangé sur le sujet expliquent l’attitude de la quasi-totalité de la presse ivoirienne par la chose suivante : les services en charge de la Communication gouvernementale n’ont pas produit de communiqué officiel, à l’issue de la rencontre, à huis-clos, entre le Président de la République et les soldats. L’inverse, à leurs yeux, aurait empêché les écarts d’interprétation, tout en offrant la latitude aux gouvernants de choisir l’angle sous lequel la presse aurait eu à aborder la rencontre avec les militaires. La question de la facilitation de l’accès aux sources d’information est donc au centre d’une partie de la récrimination des médias nationaux.

Le Ministre de la Communication Sy Savané, en plaidant mercredi dernier – au Centre d’information et de Communication gouvernementale (CICG) pour une « facilitation d’accès des journalistes aux sources » – semble avoir posé, en termes euphémiques, l’un des pans essentiels du problème.

Mais à la question d’accès à l’information, certains confrères ajoutent le problème du « manque de volonté » des autorités ivoiriennes à assurer la consolidation juridique des organes de régulation de la presse. D’aucuns estiment que l’absence de pouvoirs concrets au Conseil National de la Presse (CNP) se reçoit comme une prime tacite aux écarts. Si les structures de régulation n’ont aucun pouvoir coercitif, tout est permis. Ces remarques plus ou moins justes appellent, toutefois quelques réserves.

Premièrement, sur la prétendue aptitude d’un Communiqué officiel à empêcher – ou même à faire baisser – la tendance inflationniste de certains confrères. Il n’y a qu’à se référer au traitement médiatique réservé aux différents accords ou résolutions onusiennes sur la crise ivoirienne pour mesurer le degré d’outrance d’une certaine partie de la presse. La peine que se donnent les différents rédacteurs de communiqués finaux peut-elle impressionner une rédaction décidée à intoxiquer ? Contre-vérités et autres distortions cumulent alors, simplement, pour les besoins d’objectifs.

Deuxièmement, sur la question du renforcement de l’arsenal juridique des organes de régulation : la revendication, bien que tenable, a tout pour être perçue, par certains, comme une volonté d’« embrigader la presse » ; l’on parlerait à satiété de recul de la liberté d’opinion. Pourtant, quoiqu’on puisse en penser la régulation est non seulement incontournable, mais permettrait une crédibilisation accrue des médias nationaux appelés aujourd’hui à s’interroger sur leur réelle vocation. Loin d’un corporatisme autiste l’on doit pouvoir s’interroger honnêtement : l’opinion publique, pour la quelle est censée opérer la presse est elle en phase avec ses médias ? Le lectorat n’est-il pas choqué par toutes nos outrances ?

C’est le journaliste émérite Joher Yassine qui, hier, dans le quotidien « Soir Info » s’indignait des écarts de ses confrères. La protestation de ce monument des médias ne croulait pas, c’est vrai, sous le poids de la mesure, mais avait l’avantage de camper avec une relative précision, l’ampleur d’une exaspération largement répandue : « En lisant nos quotidiens, en voyant les titres, on ne peut qu’être révolté et se demander si la presse ivoirienne est honnête et participe à ramener la paix… ».

La critique a aussi mis à l’index les grands censeurs de la presse internationale, distributeurs agréés d’indignation sélective : « Devant tant et tant de dérives (…) Devant cette incitation à la haine, à la désobéissance prônée par certains journaux, on se demande où est passé cette presse sans frontières (Robert Menard) prompt à défendre les journalistes qui se tait, devient muette, étrangement absente, complice de cette haine qui est le quotidien de certains quotidiens…. ».

Dans ce contexte d’inflation, la presse annonce deux invités de taille pour demain vendredi : le couple « Tiburce-Venance ». Ces deux messieurs ont réussi, par leurs lumières reconnues, à faire ombrage à tout le gotha d’universitaires que compte le RHDP : Jean-Noël Loucou, Pierre Kipré, Niamkey Koffi, Tiacoh-Carnot, tous réduits à faire valoir leurs droits à la retraite, tant la voix des deux mousquetaires aura occulté la leur. Tous deux reconnus pour leur sens de la mesure et leur parfaite maitrise des questions nationales, ils apporteront certainement une très grande contribution au retour de la paix et mettront leur immense talent de critiques sociaux à nous proposer autre chose que des attaques ad hominem.

L’annonce publicitaire parue dans le quotidien du Soir est des plus édifiantes sur le projet de ces éminences : « Tiburce et Venance crucifient encore Gbagbo, un document politique en béton à lire absolument, une édition spéciale de « Le Nouveau Réveil » à lire ce vendredi 24 aout 2007 ». N’en riez surtout pas.

Le paradigme du couple Koffi-Konan est connu : Gbagbo a poussé les jeunes gens à dire « Houphouët voleur », Gbagbo doit donc purger sa peine pour délit d’insubordination, en buvant jusqu’à la lie le vin aigre de l’impertinence. D’ailleurs, la presse proche du FPI n’a-t-elle pas inauguré ce que l’on a appelé à l’époque « la sinistrose à souhait » ? Pourquoi voudrait-elle aujourd’hui que tout le monde se sente un tempérament de pacifiste ?

Mais de telles considérations, surtout quand elles sont mêlées de présuposés régionalistes, sont une parfaite marque de l’autisme et de l’anachronisme de leurs défenseurs. Ces vues oublient volontairement que la Côte-d’Ivoire sort lentement de 5 années de guerre. Elles crachent aussi sur le projet de retour à la paix ; mais surtout confortent les thèses de l’ethnologie coloniale selon lesquelles les africains seraient incapables de tirer les conséquences de leurs erreurs du passé !

jeudi 16 août 2007

La "rebfondation" de l'art

Le champ de l’art reste l’un des lieux de prédilection d’un certain impensé totalitaire. Encore aujourd’hui, des outils conceptuels totalement avariés colportent dans l’aire de l’art une forte haleine coloniale. On parle encore – écho d’une époque nécrosée – d’ « art naïf », en ces temps dits de dialogue des cultures. De jeunes étudiants d’écoles de musique, partout dans le monde, s’entendent toujours dire qu’« une blanche vaut deux noires » et qu’est « naïve » toute création artistique ne respectant pas les conventions esthétiques « universalisées ». Nous autres francophones avons aussi une foule de références marquant notre art oratoire du fer des cales.
C’est connu qu’une colère noire est celle de la pire espèce. Connu qu’un « nègre » noircit, pour d’autres, des pages blanches. Poncif que broyer du noir, c’est vivre l’enfer, même si « un mariage à blanc » n’est pas nécessairement le plus heureux des ménages. Heureusement, Bongo a tenté de sauver notre peau en montrant que l’on pouvait être « blanc comme nègre », découverte, pour le moins éclairante…
Il est clair que nos arts, traités de « naïfs » doivent se renouveler. Non parce que quelques tradipraticiens leur auraient diagnostiqué naïveté ou insuffisances, mais parce qu’il est du devoir des diverses générations d’enrichir le patrimoine collectif d’originalité. Les formes vénérées de nos anciens peuvent ainsi être critiquées et dépassées pour que l’art, demain, soit meilleur.

L’œuvre critique est donc œuvre de salut publique, car elle trace les voies d’un lendemain enrichi. Au lieu d’une levée de bouclier, elle doit plutôt susciter une levée de rameau, puisqu’elle vient nous délivrer des chaines de la sclérose et réduire notre marge d’imperfection. Sa parole peut être dure. Mais l’on sait tous qu’un détergent n’est pas un sirop à la menthe. La critique a vocation de nous rafraichir l’esprit et non la gorge. Ne nous trompons pas sur les voies de l’ingestion. Le traitement a des rigueurs que nous sommes supposés intégrer.
Notre quête de perfection doit être en mesure de s’appuyer sur une introspection sans complaisance. Elle doit pouvoir débusquer toute lacune maternée à l’ombre de fausses certitudes et jeter une lumière vivace sur nos pratiques quotidiennes. Mais il nous faut trouver la voie idoine pour un avènement du changement.
Quel mode d’action devra guider notre démarche sur le chemin de la transformation ? Devons-nous vraiment entrer en rébellion contre ce qui nous semble être les tares de notre art ? La critique et l’autocritique peuvent-elles s’effectuer en toute inconscience patrimoniale ?
Il me semble que la critique de soi doit pouvoir se distinguer de l’auto flagellation. Bien qu’on reconnaisse le fakir à la mortification, tout acte de mortification ne fait pas de nous des fakirs. Méfions nous de la fausse posture critique qui n’est finalement qu’une variante de la religiosité de nos grands-mères, cette piété « manioc » confondant spiritualité et rite, conversion et superstition, intercession et incantation, remise en cause et mise en croix. Quand il n’y a pas de péché à confesser, il n’y a pas de honte à se taire.
C’est vrai que nous appartenons à un continent où les thérapies douces sont souvent perçues comme inefficaces et où, seul le goût d’une nivaquine ou la morsure « apocalyptique » d’une seringue douteuse peut convaincre certains d’avoir subi un traitement médical. Contre ce masochisme d’écurie, il faut poser en des termes clairs, les contours de nos éventuels échecs collectifs.
Il nous a été parlé d’art naïf et l’esclavage mental s’en est fait l’écho. Mais, au fond, l’art a-t-il jamais été naïf ? La notion d’art ne porte-t-elle pas, en elle-même, la postulation d’une intelligence à l’œuvre dans la reconstruction du matériau originel ? Et si c’était par inaptitude à pénétrer le champ symbolique d’autrui que l’on estimait sa démarche naïve ? L’art de l’autre ne serait alors naïf qu’à la mesure et à l’étendue de notre ignorance, désarticulé qu’à la mesure du strabisme de nos propres représentations, naïf que du fait de nos lacunes érigées en instance de validation. L’insuffisance ici, se trouverait moins dans la forme produite que dans le regard de l’apothicaire croyant soigner – avec des décoctions – une différence perçue comme maladie de la création.
Nous sommes aujourd’hui face aux cimaises de notre histoire. A nous de choisir les tons de notre apport. Perfectionner le tableau, sans en refaire le portrait me semble être un impératif moral. Il était question de refondation, nouvel horizon dans la toile nationale. A ce projet fut confronté celui de forces nouvelles. La guerre des nouveautés nous a ramené au passé, en termes d’acquis du développement. Mais au regard de l’expérience nationale, nous pourrions bientôt nous targuer d’avoir développé une expertise quasiment endogène de gestion de nos contradictions.
Nos arts nationaux devront bien un jour se renouveler. Sous l’effet du temps, mais bien plus fondamentalement, sous l’effet de notre action. Il est question pour nous de mettre en exergue la part de moralité manquant cruellement à la formulation de notre projet d’autocritique. La moralité dont il est ici question nous permettrait d’offrir ce que nous croyons être un nouveau pagne à la mère, sans nous croire obligés de lui cracher au visage.
La refondation et la rébellion, sont deux formes d’écriture que les fils de ce temps ont cru devoir expérimenter sur la voie de la refonte de notre style. L’art en est aujourd’hui à se déployer sous la forme hybride de la «rebfondation». L’écriture picturale ainsi obtenue n’est pas nécessairement la plus envoûtante, mais elle a l’avantage de ne pas transformer notre quotidien en exposition de peinture.
Excellences Lectrices, Excellences Lecteurs, nous pourrons bien faire la fine bouche. Mais qui saura nier que le passage de la refondation à la « rebfondation de l’art » est fille des outrances ? Le progrès a beau nous passionner nous ne pourrions quelquefois l’atteindre sans adéquation à certaines formes jugées les plus irrégulières.

jeudi 9 août 2007

Etes vous Librafricains ?

A l’heure où la Côte-d’Ivoire fête le 47ème anniversaire de son accession à l’indépendance, un dialogue indirect s’est engagé entre les présidents Sarkozy et Koulibaly. Deux personnalités de la même génération, le premier ayant à peine deux ans de plus que le second. L’échange porte sur le devenir de l’Afrique. Le nouvel élu français dit militer pour un projet baptisé l’Eurafrique. Le second, lui, en appelle, plutôt, à la Librafrique. C’est au Sénégal d’Abdoulaye Wade que Sarkozy a choisi de présenter sa vision. Il disait s’adresser à toute la jeunesse africaine : le président de l’Assemblée nationale de Côte-d’Ivoire, qui n’est pas nécessairement vieux, lui donne la repartie.

Le concepteur de « l’immigration choisie » avait choisi, voici une dizaine de jours, de dire aux jeunes africains, « Je sais l'envie de partir qu'éprouvent un si grand nombre d'entre vous confrontés aux difficultés de l'Afrique. Je sais la tentation de l'exil qui pousse tant de jeunes Africains à aller chercher ailleurs ce qu'ils ne trouvent pas ici pour faire vivre leur famille ». D’Abidjan, la réponse a été sans circonvolution : « De nombreux immigrés apportent à la France leur travail, leur talent, leur argent. Nombreux aussi sont ceux qui fuient les dictateurs et les autres régimes liberticides que vous installez chez nous ». Passé cet échange de bon-procédés, lumière sur les deux visions.

Son Eurafrique, Sarkozy la présente, volontiers, comme « le plus grand rêve de paix et de prospérité qu'Européens et Africains sont capables de concevoir ensemble ». Sans être un machin, l’Eurafrique aurait, nous dit Sarkozy, « un pivot ». La pièce maitresse ainsi présentée procède, comme en physique ondulatoire, d’un espace de propagation initial : l’« Union Méditerranéenne », déjà proposée à tous les pays riverains de la Méditerranée par la France.


A ce stade de la plongée, au moins deux questions viennent à l’esprit : pourquoi le rêve Eurafricain s’enferme-t-il entre deux continents en s’amputant volontairement les chances spatiales inouïes que lui autorise son statut onirique ? Si l’onde se propage par cercles concentriques, les pays subsahariens ne sont-ils pas condamnés à vivre à la périphérie du mouvement, une satellisation de fait ?


A la mise en ghetto élargi, le Président Koulibaly préfère le vaste champ de la liberté. Il parle d’Afrique, non pour célébrer l’autisme et le nombrilisme, mais pour invoquer la liberté. La parole du Librafricain est claire « Nous ne voulons pas de votre liberté en double standard, et sous surveillance ». Les mots par lesquels se définit la Librafrique elle-même ont la saveur immaculée d’un credo. Et le Président Koulibaly en déclenche ici le jet vivifiant : « Nous voulons redevenir libres. Il ne s'agit pas d'un retour à un quelconque âge d'or. Il ne s'agit pas d'une option pour nous, mais de notre survie. Il s'agit d'être simplement des humains, de vivre comme tels et d'être traités comme tels. Nous ne voulons pas de traitement de faveur. Nous voulons avoir notre liberté de choix. Nous voulons tirer profit des droits imprescriptibles que nous avons d'être propriétaires de nous-mêmes en tant qu'humains. Nous voulons être libres dans la mondialisation, comme nous ne l'avons jamais été sur les marchés des esclaves. Sur les marchés coloniaux. Dans le pacte colonial. Nous ne voulons pas aller sur les marchés mondiaux enchaînés par des accords protectionnistes ; ni avec la France, ni avec l'Europe. (…) Au lieu de l'Eurafrique, nous voulons la Librafrique ».


En les observant sereinement l’on réalise que l’Eurafrique est en fait un anachronisme rebaptisé. Car c’est bien par « Eurafrique » qu’a été organisée la traite négrière. Une certaine élite Européenne et ses compères africains - vassalisés - ont mis en œuvre ce crime contre l’humanité avant qu’il ne se communie en colonisation. La même Eurafrique a ensuite innervé le parti-unique, par la mise sur pied de réseaux sanguinaires, sanctuarisés par des chancelleries complices. C’est bien par « Eurafrique » qu’une certaine pègre politique est entretenue à la tête de pays africains par des appuis occidentaux univoques. L’Eurafrique tel qu’elle a vécu jusqu’à ce jour, n’aurait jamais dû exister. Elle a pourtant eu cours et appartient donc désormais à une histoire commune que nous ne saurions renier. Mais comme le dit un Niamkey Koffi des grands jours, « Il y a pathologie quand l’étape s’érige en terminus ». Ainsi, aussi vrai qu’est passée l’ère des rigolos, a vécu le temps de l’Eurafrique.

Mais la Librafique qu’est-ce pour nous aujourd’hui ? Au plan psychologique, c’est une conscience identitaire décomplexée et n’attendant, comme tel, ni reconnaissance, ni approbation de quelque instance exogène. Au plan du développement, une prise en main très claire des politiques d’éducation, afin que soit éradiquée la chape d’ignorance dont la présence annihile l’immense potentiel humain du continent.


Au plan artistique, une création dont la reconnaissance cesserait de dépendre de la glose de jurys estivants, au plan religieux, la nette différence entre les valeurs spirituelles et les supports culturels, vecteurs circonstanciels de vérités éternelles. Au plan politique, une capacité de transcender les clivages des idéologies moisies, mais l’émergence de modèles de résorption de nos contradictions, endogènes et pacifiques.


Au plan économique, une éducation à l’épargne, couplée d’une valorisation de l’effort comme creuset de l’avoir, au plan académique, une écoute diligente des besoins spécifiques du continent et l’investissement d’une part essentielle des budgets nationaux dans les domaines de la connaissance. Au plan écologique, une conscience claire du respect de l’environnement, comme pierre de touche d’un respect des droits de l’homme….


Excellences Lectrices, Excellences Lecteurs, qui donc a mandaté Sarkozy pour parler au nom de l’Europe ? Tous les pays européens adhèrent-ils au projet eurafricain ? Quels pays africains ont-ils participé à la conception d’un tel projet, pour qu’il soit considéré comme "Eurafricains" ?
La Librafique, parce que capable de distinguer le Christ du Père Noel subodore à mille lieues l’immensité de la supercherie.

Etes-vous Librafricains ? N’attendez pas que tombent toutes les chaines. Le premier moment de la libération, c’est la liberté de se considérer comme libre !

jeudi 2 août 2007

Houphouétistes, Sarkozy et le piège du ressentiment

Dans l’histoire des nations, il est des rencontres auxquelles un homme politique ne peut se soustraire sans porter l’estampille d’un désaveu indélébile. La cérémonie dénommée « Flamme de la paix » est certainement de celles-ci. La lucidité la plus commune, le bon-sens le plus élémentaire, la courtoisie la plus rudimentaire, auraient voulu que les cinq personnalités longtemps auréolées du titre ronflant des « cinq grands » soient toutes présentes à ce grand rendez-vous de notre histoire nationale.

Il est évident que les 20 millions de citoyens que compte notre pays, ne pouvaient tous s’engouffrer dans ce stade municipal de Bouaké, mais les cinq personnalités censées les incarner auraient pu au moins les y représenter, comme aux jours où il était question de postes à partager, de ministères à dépecer, de strapontins à accaparer. Par quelle arrogance donc Bédié, Ado et Banny ont-ils pu mépriser le symbolisme de la réunification de la Côte-d’Ivoire ? Quels maléfices, quels sortilèges ont-ils pu incliner ces personnalités à dédaigner, d’une façon aussi incroyable, la mémoire des nombreux morts de la crise ivoirienne ? Qui donc a pu jamais autoriser l’ex-Président à mépriser la Côte-d’Ivoire immolée ? Par quelle race d’orgueil l’ex-député de Daoukro a-t-il pu couvrir de son dédain, le parterre des invités de la Côte-d’Ivoire ?

Quelle vanité a poussé l’ex-premier Ministre à fouler aux pieds la présence des Présidents Toumani Touré et Blaise Compaoré, lui qui rêvait en 1992, d’une Côte-d’Ivoire « avec un autre nom », une Côte-d’Ivoire qui s’étendrait du Golf de Guinée au Sahel ? Comment l’ex-candidat potentiel à la présidentielle de 2000 a-t-il pu tenir pour nulle l’existence de Thabo M’Béki, Président de l’Afrique du Sud ?

Qui donc a réussi à abuser le prince de Morofê sur le bien-fondé de sa non-participation à la cérémonie de la paix ? Qui donc lui a fait avaler que sa présence aux côtés de la Côte-d’Ivoire réunifiée serait un péché ? Quelque notable éméché ? Quelque artiste « néo-houphouétiste » ?
Ces trois absences remarquées, aurons-nous perçue celle relative de la France officielle, sous la présence en minimum syndical de son ambassadeur ? Or, « Everywhere you go, I go too ! », ricanent désormais les ivoiriens. L’insubmersible Aubrey Hooks étant de la partie, le collègue français pouvait-il prendre le risque de s’absenter ?

Le bûcher de la paix refermé, l’histoire retiendra que Bédié, Banny et Ouattara furent absents et que la Côte-d’Ivoire n’en fut pas moins symboliquement réconciliée avec elle-même. Mais pour nous, ceux qui écriront cet épisode de notre parcours national auraient tort de le faire dans l’oubli du discours prononcé le 26 juillet dernier par Nicolas Sarkozy, en terre sénégalaise, c’est-à-dire finalement, à quelques « encablures » de Bouaké.

Copernic avait-il décidé de renverser le paradigme du grand arbitre blanc, qu’ il fallait bien lui opposer le géocentrisme de la bonne vieille AOF dakaroise, tout en atténuant l’influence médiatique de l’antithèse ivoirienne. Un tel message, à peine subliminal n’a pu passer inaperçu. Tous les ingrédients de l’agitation médiatique française ont été mobilisés : contestation de l’âge d’Or de l’Afrique - au sein même de l’Université portant l’illustre nom de Cheick Anta Diop, théoricien de l’antériorité de la civilisation nègre sur celle occidentale - refus déclaré d’endosser l’héritage moral de la colonisation, relativisation des affres de l’ expansionnisme, obsession ethniciste, paternalisme patent, présupposés gobinistes à peine édulcorés, toute une gamme de sujets susceptibles d’occuper une opinion qui se respecte, le temps de laisser passer le train subversif.

Il y avait bien de la provocation dans le propos de l’homme qui déclarait le 26 juillet, à propos de la colonisation, et ce, pratiquement en bordure de l’île de Gorée : « Nul ne peut demander aux générations d'aujourd'hui d'expier ce crime perpétré par les générations passées. Nul ne peut demander aux fils de se repentir des fautes de leurs pères ». Angela Merkel pourra-t-elle jamais prononcer une telle criminalité dans un amphithéâtre de Tel-Aviv ?

A Dakar, pourtant, au micro de la vieille AOF rapiécée, un dédoublement à portée négationniste, enrobé d’une rythmique à la Eluard : « Ils ont voulu convertir l'homme africain, ils ont voulu le façonner à leur image, ils ont cru qu'ils avaient tous les droits, ils ont cru qu'ils étaient tout puissants, plus puissants que les dieux de l'Afrique, plus puissants que l'âme africaine, plus puissants que les liens sacrés que les hommes avaient tissés patiemment pendant des millénaires avec le ciel et la terre d'Afrique, plus puissants que les mystères qui venaient du fond des âges ».

Cette rhétorique anaphorique chère aux amis surréalistes de l’Afrique négritudienne avait pour vocation de tenir le bon nègre par la barbichette de l’affect avant de lui servir sa pilule gobiniste. Pour Monsieur Sarkozy l’homme africain est celui qui jamais : « ne s'élance vers l'avenir. Jamais il ne lui vient à l'idée de sortir de la répétition pour s'inventer un destin » et le président français de narguer des quartiers de polémistes : « Le drame de l'Afrique, c'est que l'homme africain n'est pas assez entré dans l'histoire ». Mais faut-il donner dans la controverse creuse là où l’histoire nous appelle à l’action et à la construction des conditions sociologiques de notre essor ?

Nous n’avons pas du tout le droit d’en vouloir à tous ceux qui par leurs actes et leurs propos tentent de semer des embûches sur le chemin de notre renaissance nationale ou continentale. Qu’ils s’appellent Bédié, Ado, Banny ou Sarkozy, ils ne peuvent être pris pour cibles. La tâche à accomplir est trop grande pour que l’on s’embarrasse de considérations personnalisées. L’Afrique digne dont un pan réside en Côte-d’Ivoire devra, sans perdre la moindre minute, surmonter les outrages et se remettre au travail. Face aux humiliations, face au sarcasme et au négationnisme, la sérénité et l’ardeur au travail permettront à notre continent de renaitre de ses cendres.

Excellences Lectrices, Excellences Lecteurs, la Côte-d’Ivoire ne sera jamais aussi forte qu’en déjouant tous les pronostics des oiseaux de mauvais augure. Quelqu’un a parlé de la capitale de la paix. J’ai envie de libérer Bouaké de l’exclusivité d’une telle charge. Et si toute l’Afrique en était la capitale ? Le "monde entier", me répondraient sans doute, les universalistes, les vrais !