jeudi 30 août 2007

Le boulet des frontières

L’Afrique peut-elle émerger en s’agrippant aux frontières héritées de la colonisation ? Les enjeux économiques actuels autorisent-ils les pays africains à se contenter des parcelles étriquées acquises par le jeu d’intérêt exogènes ? Pour nous, la réponse est « non » ! Morcelé en une infinité de fragments, l’Afrique n’en est pas moins unique dans ses fondamentaux et tangible dans ses constantes, même si elle offre l’image d’une terre étrangère à elle-même, parfaitement sourde à sa propre voix, aphone sur les sujets de son vécu. Perdu dans sa vaisselle étatiste, notre continent peine encore à passer des domesticités et autres « localités » à une approche synthétique de ses problématiques. Ce qui rend l’uranium du Niger extorquable – dans la plus grande intimité familiale « françafricaine » – est aussi ce qui rend possible la fusillade de 70 africains par des soldats étrangers, à l’Hôtel Ivoire, sans indignation à l’échelle continentale.

Le fait est que les Etats hérités de la colonisation ont derrière eux leur intérêt et leur temps. L’Afrique, avant d’être morcelé sous le mode colonial, était bien plurielle et diverse. N’étant pas, loin s’en faut, le modèle d’unité ou de solidarité que tente de vendre un romantisme bon-marché, le continent, au sens unitaire, n’existait, manifestement, que dans sa dimension géographique. La colonisation a donné lieu à une nouvelle communauté de destin et celle-ci a débouché sur la formation d’un patriotisme généralement circonscrit aux frontières importées.

La donne patriotique locale a d’ailleurs permis de mettre à mal, d’une manière ou d’une autre, la mainmise de l’empire colonial, avant de devenir, par quelque exacerbation, un véritable boulet aux pieds du continent.

Or, voici que l’Afrique possède aujourd’hui une société d’hommes et de femmes suffisamment instruits des enjeux planétaires. Voici que les frontières de nos petits Etats se révèlent être des camisoles de force sous lesquelles s’asphyxient d’immenses virtualités fractionnées. Comment réussir à créer la synergie des forces éparpillées ? Comment fallait-il expliquer à un camerounais et à un Nigérian que la querelle autours de la presqu’île de Bakassi, n’en valait pas la peine ? Comment faudra-t-il dire aux voisins de la Côte-d’Ivoire que cette histoire de charnier identitaire sort tout droit de la tête de Benoit Schauer ? Et comment faudra-t-il faire comprendre aux ivoiriens qu’ils devront bien un jour oublier ces histoires de Bceao à dominer de toute éternité ?

Et comment faudra-t-il dire aux sénégalais, sans les vexer, qu’il n’y a aucun mérite à avoir été la capitale de l’Afrique Occidentale Française ? Et comment passer du nationalisme local au patriotisme continental ? En somme, comment faudra-t-il contourner le piège des mascottes africaines de l’Europe néocoloniale ? Comment devrons-nous mettre fin à la mainmise des Etats-nabots sur les leviers de communication et de formation de la société africaine ?
On le sait les tenants du pouvoir en Afrique, comme ailleurs du reste, sont généralement tenus en laisse par des pouvoirs d’argent qui leur impose une feuille de route, en déphasage avec les intérêts des populations locales. Cet état de fait, induit plus d’une incongruité dans la gestion quotidienne des Etats. C’est pourquoi, une multiplication d’acteurs échappant au contrôle des institutions classiques s’impose. La race de femmes et d’hommes que l’on a appelés, en son temps, « la société civile », a aujourd’hui le devoir d’apporter, à l’échelle continentale, son appui à l’Etat noyauté.

Parce que l’Etat africain vit et se développe dans une zone de grandes endémies morales, il est du devoir de cette race d’hommes de proposer une alternative à l’Etat pianoté. Dans la mise en œuvre d’un tel projet, les acteurs libres doivent chercher à insuffler à l’institution académique une nouvelle dynamique. Il est entendu que l’éducation joue un rôle essentiel dans la formation d’une conscience populaire, il faut alors éviter un académisme mécanisé, école sans âme, ni concept formant l’individu sans visée claire.

Si l’école publique, en deux générations, s’est montrée inapte à forger un citoyen rigoureux et intègre, l’école privée et particulièrement, celle confessionnelle devrait aujourd’hui s’approprier sa vocation naturelle de moralisation de la société. Sur ce terrain, l’on est bien loin du compte.
L’Afrique a un double challenge éducatif à relever : travailler à l’émergence d’une conscience civique continentale, œuvrer à la moralisation des masses, dans un système administratif complètement putréfié.

Notre réel accès à la mondialisation ne s’improvisera pas. Quel Etat pourra s’imposer comme acteur significatif de la mondialisation, sans être passé par la loge de la continentalisation ? Imagine-t-on une universalisation sans propédeutique ? C’est sûr qu’il manquera toujours une étape dans le cheminement d’un Etat qui croirait aller à la mondialisation, sans passer par le moment du Continent : vouloir aller à la mondialisation, sans franchir le quai du continent, serait se condamner à passer du stade d’Etat-nabot à celui d’Etat-cabot.

Excellences Lectrices, Excellences Lecteurs, dans certains milieux, l’on tend, de plus en plus, à nier la race ou toute différence identitaire, derrière le masque trompeur d’un universalisme tout théorique. Mais une lecture, même expéditive, de l’histoire révèle que les différences ont la peau dure. Quand la race ne fait plus recette, c’est la classe qui fait des siennes. Même à l’intérieur d’une même chapelle idéologique, l’exégèse conduit presque toujours à la multiplicité des convictions. La différence ne peut donc être niée. Tenter de le faire, serait à la fois révisionnisme et inconséquence existentielle.

Si l’on ne peut gommer radicalement la différence – et si l’Afrique est ce qui a été et qui demeurera quand nos Etats étriqués ne seront plus – les africains gagneraient à donner un contenu plus respectable à leur continent ! Au bout du compte, la mondialisation ne serait jamais un ogre pour un continent ayant su assurer ses pas.

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