jeudi 26 juillet 2007

A la paix comme à la paix ?

Depuis la signature de l’accord de Ouagadougou, la paix ouvre, pour ainsi dire, ses fronts sur les lignes de notre fracture. Autant de points de suture pour panser les plaies de notre histoire. Deux types de pansements sont proposés. Le premier se donne sous la forme d’une thérapie sans cicatrice. Ici, la mémoire n’a pas de place. Elle ne viendrait que raviver la douleur et alimenter le ressentiment.
La deuxième ligne milite pour une fermeture qui laisse en bonne vue la cicatrice afin que le corps social se souvienne des erreurs du passé.
Entre les tenants de la chirurgie esthétique et ceux de la démarche cicatricielle le débat a déjà lieu. A quel prix la paix que nous aurons remportée de haute lutte sera-t-elle préservée de la péremption ? Certainement en y mettant les éléments de sa conservation.
Ces éléments sont certainement à rechercher du côté d’un équilibre des compensations. S’il est un butin de guerre, il doit y avoir de butin de paix.
La guerre a nécessité des soldats, la paix n’en aura pas moins besoin. Et quand nous serons sortis de la guerre pour prendre place à bord du (vrai) train de la paix, il nous faudra avoir à l’esprit que l’armée de la paix n’a pas de civils. Tous sont appelés sous ses drapeaux et personne ne sera assez chétif pour être inapte au service.
Mais la paix et la guerre ont un coût, une méthode, une morale. Irons-nous à la « paix comme à la paix », comme certains vont à la guerre comme à la guerre, c’est-à-dire, en mettant en veilleuse les bons principes de la morale ? La morale partage avec le temps le défaut de ne respecter que les choses qui savent les respecter. Quand un fait ou un être ne respecte pas le temps, le temps lui rend la pareille. Si la morale n’avait suffisamment été introduite dans notre deal vers la paix, notre paix s’en ressentirait bientôt.

Le grand argumentaire de l’ivoirien fatigué de la guerre, ne nous parait pas suffisant pour servir de base à une construction durable de la paix. Si c’est la fatigue qui fonde notre retour à la paix, l’on doit craindre, la reprise des forces. Ecoutons les chefs de guerre, ils ne sont pas convaincants sur les motivations de leur élan pacifiste. « La deuxième guerre mondiale a pris fin pourquoi notre guerre ne prendrait-elle pas fin aussi ?», disent-ils de façon télégénique. Un tel argumentaire présente la faiblesse de présenter la paix comme une issue destinale. Rien n’autorise à penser que la fin de la guerre mondiale implique celle de la crise ivoirienne. La deuxième guerre mondiale est terminée, sans que ne soit terminée pour autant ce que l’on appelle la guerre israélo-arabe.

Ce n’est donc pas une question de fatalité historique, mais plutôt un débat sur l’élaboration d’une ligne d’intelligibilité capable de structurer et garantir la pérennité de la paix. Ayons-le à l’esprit : une paix, par la fatigue est une paix très précaire, elle porte en elle-même les germes de sa fin. Il est heureux que les belligérants soient fatigués de s’affronter, mais on est pacifiste par épuisement, comme on est opposant par aigreur. Œuvre de la bile sous la crasse à prétention argumentative, action de l’essoufflement sous la bonne syntaxe de la conciliation barbue.

La paix est si proche de la guerre qu’elle a elle aussi ses « atrocités ». Une de celles-ci ne serait-elle pas que les soldats loyalistes soient laissés pour compte alors que certains grades, obtenus à la sueur de nos fronts soient acquis, à la paix comme à la paix ?

Bouaké accueillera le 30 juillet prochain, l’un des rendez-vous les plus attendus des observateurs depuis la signature de l’accord de Ouagadougou . Le Président de la République de Côte-d’Ivoire, ce jour là, ira sur la base des rebelles, dans le fief des miliciens qui « tiennent 60 % du territoire ivoirien », comme aiment à se convaincre certains. Pour en arriver à une telle étape de l’effort de fermeture de la crise ivoirienne, de nombreux sacrifices ont été consentis. Par le peuple ivoirien et ses dirigeants.

Depuis la signature de l’accord de Marcoussis en 2003, un partage du pouvoir a été imposé à la population ivoirienne par la force des armes et de concession en concessions, la guerre a pu être contenue. A l’heure du bûcher de la paix, les armes que l’on devra brûler sont celles qui ont ôté la vie à certains de nos concitoyens. La question est douloureuse, mais mérite d’être posée : comment rendrons nous durable notre paix, si demeure un sentiment d’impunité dans l’imagerie collective ? La paix a ses absurdités. Elle incline quelquefois à des actes qu’on ne peut justifier rationnellement. Il nous faut pourtant la préserver de la péremption en lui adjoignant une intelligibilité.

Ceux qui se risquent à définir la paix et la guerre présentent, la première comme l'absence de violence ou de guerre entre groupes humains et comme un état d'esprit personnel, libre de colère, de crainte, et de sentiments négatifs. Cela suppose qu’elle ne doit être source d’amertume ou d’indignation pour ceux qui sont censés la vivre. La guerre elle est saisie comme une « mise en œuvre de l'hostilité, entre au moins deux belligérants adverses, se traduisant obligatoirement par des combats plus ou moins dévastateurs, impliquant indirectement ou directement des tiers ».

On peut donc la voir dans tout conflit caractérisé par la force corporelle, les armes, la tactique, la stratégie, ou la mort des participants. Mais qu’il s’agisse de guerre ou de paix, la force est toujours de mise dans la mise en œuvre. Il faut de la force physique, psychologique ou mécanique pour la guerre, il faut presque les mêmes éléments pour faire la paix. C'est pourquoi, on ne vient pas à la paix, par échec. On y vient par conviction et la conviction se fonde sur une clarification des présupposés éthiques de nos choix respectifs.

Excellences Lectrices, Excellences Lecteurs, « Quand on a un marteau dans la main, tous les problèmes deviennent des clous » dit un auteur. C’est sans doute dans l’erreur de perception de certain des nôtres que notre pays en est arrivé à la tragédie dont nous nous remettons peu à peu. Nos problèmes n’étant en réalité, ni des clous, ni des pointes, mais des sujets de débat, clairement codifiés par notre constitution, il nous faudra certainement vider le contentieux de la paix sans marteau, c’est-à-dire sans chantage et avec la pleine mémoire de notre cicatrice.

jeudi 19 juillet 2007

"Chaque parti aura son RDR"

Un éditorialiste bien connu écrivait, formel, voici 13 ans : « Chaque parti aura son RDR ». La naissance du parti de Djény Kobena avait suscité, on le sait, beaucoup d’émotion. C’est un PDCI furibond qui avait assisté, impuissant, à l’avènement d’une formation issue de ses rangs. L’émoi des partisans de Bédié était d’autant plus grand qu’Houphouët lui-même, père et repère du vieux parti, leur avait certifié, en son temps, que la bande à Djény – les rénovateurs – n’était qu’une « guilde » de pauvres troubadours, rien de très consistant, des feuilles mortes, comme on dirait aujourd’hui ! « Ils n’ont rien et puis, ils veulent rénover quoi ? » avait ri, de son rire sacerdotal, l’apôtre de la paix. Et puis les feuilles mortes, comme elles savent bien le faire, avaient fini par bruler la politesse à la vieille assemblée, allumant un terrible feu de brousse dans le cœur des adorateurs des petites rivières.

Je n’aime ni les oracles, ni les prédictions des officiants non-consacrés et Béhanzin a radicalisé en moi la tendance. Mais il me plait, toutefois, d’interroger les ressorts et la portée de certaines révélations, pour peu qu’elles respectent un minimum de forme.

J’ai ainsi le sentiment que « Chaque parti aura son RDR » ramenait, en premier lieu, et presque de toute évidence, à la notion de scission. Aucune formation politique, devrait-on comprendre, n’échapperait aux ruptures. Quoi de plus normal ? Départs et venues ne s’inscrivent-ils pas dans le cours ordinaire de la vie ? Ne participent-ils pas à l’existence et à l’expression démocratique ? Liberté d’association, liberté de rupture, liberté de parole, liberté de silence ? Mais scission dit aussi dissidence. Et c’est à niveau que les susceptibilités sont des plus vives : la présence du dissident, à elle seule, révèle que le parti a viré à la partie. Elle divulgue aussi l’ « arrêt » du mouvement, là où le parti avait mandat permanent de dépasser contradictions et antagonismes, pour ne pas être dépassé, c’est-à-dire, inscriptible au registre de la sclérose.

S’il est vrai que chaque parti est appelé à avoir son RDR, l’Alliance pour la Nouvelle Côte-d’Ivoire (ANCI) est certainement le RDR du RDR ! Or qu’aura été le RDR à ses origines, sinon que le parti d’un mentor embusqué ? Conter le Rassemblement Des Républicains reviendrait à révéler le parcours d’une formation venue au monde autrement que par la tête. On le sait, le RDR n’a jamais montré de figure qu’après en avoir fini avec les dents de lait. « Quand je frapperais, tu tomberas » était loin d’être le propos d’un poupon, quoique de nos jours existent des nourrissons capables de vous dire, les nom et prénom, en leur titre et qualité, des plus hautes personnalités. Une chose est sûre, le jeune Gonhi Hervé, qui n’a que deux ans, n’était pas encore né en 1999, quand d’autres bébés, d’engeance querelleuse, montraient la tête.

Que l’ANCI soit le RDR du RDR nous fonde à penser que ni son actuel président, ni son présent Secrétaire Général, n’en révèlent le vrai visage. C’est que, à l’image de tout « RDR » qui se respecte, ce parti doit garder à l’abri de nos regards impudiques, un mentor tapi dans l’ombre – des feuilles (mortes) – attendant que prenne fin l’automne, le printemps étant toujours à venir. Qui sait ? Les feuilles, même flétries, sont quelquefois annonce de fruits.

Permettez-moi d’être paranoïaque : et si l’ANCI était le parti de Soro Guillaume ? « Il est brillant et courageux. C'est un jeune homme qui a beaucoup d'avenir. Depuis deux ans, je l'ai observé dans ses fonctions de responsable des Forces nouvelles. Je pense qu'il peut apporter beaucoup à la construction de la Côte d'Ivoire, une fois la paix revenue » disait dans l’édition du 9 janvier 2005, au micro Marwane Ben Yahmed, de l’hebdomadaire Jeune Afrique l’Intelligent, Dramane Alassane.

Le jeune « brillant et courageux » aurait-il décidé d’apporter de l’eau au moulin de son dévoué admirateur ? L’avenir nous le dira. Pour l’instant l’heure est à la diabolisation insidieuse des têtes affichées de l’ANCI. L’on les avait déjà qualifiées de « Feuilles mortes » ou de bêtes transhumantes, aujourd’hui il est question de stigmatiser en eux félonie et mensonge. Les « ANCIens », nous suggère-t-on, sont de ceux qui partent sans prévenir. Pour tout dire, ils sont des traitres ou, à tout le moins, des menteurs qui, par leurs mensonges, causent des torts au… mentor. Créer un parti ? Ce n’est pas ce qu’ils avaient dit. Comme si Bédié avait eu droit à un faire-part le 28 septembre 1994.

Si tant est que les « ANCIens » sont des traitres ou des menteurs que penser de l’homme politique qui prétend – dans notre monde saturé à l’internet et aux communications téléphoniques – ignorer le fait que Zémogo Fofana ait créé un parti ? « C’est une façon de parler » me dira-t-on. Mais un tel registre de parole ressemble fort à celui méprisant par lequel nos jeunes sœurs disent à tout contradicteur abhorré « Je ne te vois même pas ».

Une consolation, cependant, pour les partis saignés : chaque RDR aura son ANCI.
La brochette d’artistes drainée par le nouveau parti, est plutôt prometteuse…

Excellences Lectrices, Excellences Lecteurs, de quelles Nouvelles sont porteurs les « ANCIens » ? S’il n’y a rien de nouveau sous le soleil, soyons attentifs à l’avènement des « ANCIens » ! Espérons seulement que, pour cette fois, les fronts emblématiques ne succéderont pas aux traits énigmatiques, dans une tragique éclipse.

jeudi 12 juillet 2007

Symboles de Korhogo

Un heureux hasard a permis que je me retrouve à Korhogo, en début de semaine et que j’assiste, de la façon la plus imprévue du monde, à la cérémonie d’installation officielle du Préfet de la Cité du Poro. Ce qui aurait été une passation de charge classique, en d’autres temps, a revêtu ici les aspects de la festivité, malgré l’estampille de sobriété qu’ont voulu faire porter à l’événement ses organisateurs. L’impact des roquettes de Bouaké est encore vivace dans les esprits et personne apparemment ne voulait donner le sentiment de narguer, par des avancées stupéfiantes, certains regards rendus ombrageux. Sous le voile de sa sobriété l’événement n’en fut pas moins fort de symboles.

Le premier de ceux-ci est venu, m’a-t-il semblé, de la « concomitance » entre l’installation de l’Administrateur et le paiement des primes aux fonctionnaires et agents de l’Etat en poste à Korhogo. Renseignement pris, le Ministère de l’Intérieur et le Comité en charge du redéploiement de l’Administration ne s’étaient pas passés le mot. Le hasard qui fait quelquefois bien les choses a sans doute voulu signifier que l’autorité de l’Etat rime avec la prospérité du citoyen. En tout cas, Rousseau, le théoricien du Contrat social, de passage dans la cité du Poro aurait été émerveillé par l’heureuse simultanéité entre le retour du préfet et le paiement de primes aux citoyens obéissants à l’ordre républicain.

Autre symbole, le statut même de la salle ayant abrité la cérémonie d’installation : le « Centre d’actions culturelles Womiengnon ». Il existe bien encore à Korhogo le bâtiment de ce qu’a été la préfecture. L’espace appelé jadis la « Préfecture » sert désormais de bureau au bienheureux Martin Fofié, tout puissant et un tantinet sympathique Commandant de la « Zone 10 ». Les plus gourmands pensent que la cérémonie de restauration de l’autorité de l’Etat aurait pu se tenir à la Préfecture – devenue depuis Etat-major des Forces Nouvelles – mais l’histoire aura voulu que le retour du Préfet se fasse sous le sceau de la Culture. C’est donc à la « Salle d’actions culturelles » que le nouveau préfet a été installé et présenté à ses administrés.

Ne dit-on pas que la Culture est ce qui reste quand tout a disparu ? Il est bon que la relation des citoyens à l’Administration se fasse sous les auspices du savoir. L’histoire korhogolaise a voulu que culture et administration coïncident désormais. Puisse la leçon faire école, pour enseigner à chacun de nous que la culture – autre nom de l’éducation – est le lieu de notre renaissance. Si la violence et la barbarie nous ont éloignés de l’«Espérance promise à l’humanité », la culture nous permettra certainement « de forger /dans la foi nouvelle/ la Patrie de la vraie Fraternité ».

Et mardi dernier, dans la cité du Poro, le « Centre d’actions culturelles Womiengnon » n’a pas failli à sa vocation puisqu’il a réhabilité un pan fort de notre culture nationale : l’Alliance à plaisanterie. Le Préfet installé mardi soir s’est vu accueilli comme un allié. Quelqu’un, au micro, a dit de l’illustre préfet qu’il est un « esclave ». Ceux qui connaissent l’architectonique de la sociologie ivoirienne n’en ont pas été émus. Comment le préfet, symbole de l’autorité de l’Etat peut–il être traité d’esclave ? Me suis-je indigné. A ma grande surprise de « Gahou d’Abidjan », j’ai découvert, ne comprenant décidement plus rien à l'énigme, un sourire radieux sur les lèvres du Préfet.

Un responsable des Forces Nouvelles, qui se trouvait être un Sénoufo de dire « c’est un Yacouba, le nouveau préfet est Yacouba ! », la salle a alors acclamé à tout rompre le nouvel administrateur qui connaissait bien, lui, la portée et le sens de l’alliance séculaire. Dans la communion entre le préfet et ses administrés j’ai cru lire que l’Alliance a pour rôle de désamorcer, depuis la nuit des temps, la raideur des relations humaines. Celui qui plaisante ne blesse plus, il ne fait que titiller. Or qui est titillé est admis, de fait, dans le cercle des amis. L’alliance à plaisanterie instaure ainsi une aire totémique où l’affrontement est interdit.

Mais question cependant : le Sénoufo devra-t-il nécessairement attendre un préfet Yacouba pour être comblé ? L’Abbey ou l’Attié devra-t-il réclamer à tue-tête un Dida, pour bien vivre l’autorité de l’Etat ? Certainement pas. Si l’alliance séculaire a l’avantage d’éclairer nos visages à la lampe de notre histoire, rien ne nous empêche d’élargir la base de notre convergence. Aujourd’hui, me semble-t-il, l’allié, c’est tout fils d’Eburnie, d’où qu’il vienne.

Un autre symbole nous est aussi venu de l’administrateur fraichement installé. Son langage nous a semblé être celui de l’humilité. Devant ses administrés, l’homme a affirmé être venu en frère soucieux d’apporter l’appui de l’Etat à d’autres frères. « Je ne viens pas avec le bâton de commandement, ni avec une épée quelconque de Thémis », a dit l’Administrateur. Sur ce même mode, l’inspecteur général de l’Administration du Territoire, grand officiant de la messe de réinstallation, avait déjà livré ce qui aurait pu se nommer la métaphore « des dents et des griffes ».

Chaque préfet, a dit l’homme, est comme un lion. Mais ce qui fait la force dudit félin ce sont ses dents et ses griffes, a-t-il poursuivi. A la population rassemblée au Centre d’Actions Culturelles, l’inspecteur Général a dit qu’elle représentait les griffes et les dents d’un tel lion. Ce qui ne fut pas fait pour déplaire à l’assistance.

Et puis vint finalement, l’allégorie du ventilateur. Le Secrétaire Exécutif du Comité National de redéploiement qui était là dans la cité du Poro pour verser des primes d’installation et d’incitation aux fonctionnaires redéployés dans la zone a donné de la voix quand vint son tour de parole. L’on est passé de l’allégorie du félin à celle – rafraichissante - de la ventilation. Pour lui, l’argent est un ventilateur. «Quand il cesse de tourner, tout le monde a chaud». C’est pourquoi, nous devons faire en sorte de ne pas nous exposer aux coups de chaleur rageurs en donnant la parole aux bruit des bottes, a-t-il exhorté...

Dehors, la chaleur cédait déjà le pas à une douce brise vespérale. Le préfet de Korhogo était installé depuis quelques heures et les fonctionnaires en poste dans la cité du Poro recevaient leurs primes d’encouragement.
J’avais assisté, ce même jour, à deux cérémonies à Korhogo, sans apercevoir à aucune d’entre elles, Martin Fofié, Com Zone de Korhogo, pourtant présent dans la ville. De quoi était-ce le symbole ? La volonté de donner à l’accord de «wahadougou» (tel en est la prononciation à Korhogo, ai-je remarqué, ) tout son sens de normalisation de la Côte d’Ivoire ? Eclipse de l’ordre ancien au profit du renouveau ?

Me reviennent des paroles de notre hymne national : « Salut ô terre d’Espérance ». Je me prends à espérer aux pieds du mont Korhogo.

jeudi 5 juillet 2007

Arrêt sur images

L’image de Soul to Soul, chef du protocole de Soro Guillaume, étreignant le Président Gbagbo ? Décor surréel ! Les optimistes, même les plus généreux, n’auraient pas forcément envisagé, au début de la crise ivoirienne, une telle scène. Une sorte de logique « en domino » avait installé ses barbelés de fers, ronces dogmatiques chassant de la sphère du possible toute possibilité de conciliation. Et puis a émergé, de proche en proche, une suite d’apparitions rassurantes. Avant l’étreinte de Soul to Soul au Président Gbagbo, il y a bien eu la danse de Sidiki Konaté ou même encore l’abandon symbolique d’une arme au Président, un certain 4 juillet 2003.

Si à cela, l’on ajoute la longue photothèque de la caravane de la paix, il est possible d’affirmer que la galerie des scènes réconfortantes, dans la crise ivoirienne, n’est pas déserte. Elle côtoie assez bien le long film d’horreur s’étalant du charnier de Yopougon à l’attentat de l’aéroport de Bouaké en passant par les épouvantes de Monoko-zohi ou de Blody. Les scènes préfigurant la paix sont nombreuses, poignantes étreintes, chargées d’une vérité incoercible : la guerre en Côte-d’Ivoire n’est ni insurmontable, ni fondée sur la prétendue haine d’un nord pour le sud et vice-versa.

Il est clair qu’en Côte-d’Ivoire comme ailleurs survivent bien quelques frictions entre communautés, mais le conflit dit ivoirien, dans son intensité, ses manifestations, sa durée et ses rebondissements ne pouvait être considérée comme procédant de la seule conjoncture endogène. Nous l’écrivions, au début de la crise, dans d’autres colonnes, cette guerre-ci, n’est pas, principalement, identitaire. Un porte-à-porte laborieux a tenté de montrer que la Côte-d’Ivoire se déchirait elle-même, selon le modèle de cruauté autocide théorisé par Stephen Smith.

Toute une hagiographie a été élaborée tentant de montrer qu’il fut un temps, celui d’Houphouët, où tout n’était que calme, beauté et volupté. Et puis était venue de nulle part, une ère de xénophobie qui avait mis le pays tout entier dans la guerre civile…fausse religion dont les adeptes sont de plus en plus nombreux à se mordre les doigts.

La querelle sur le sens à donner à ce pans de notre histoire n’est pas nécessairement refermée, mais des images claires montrent aujourd’hui que la fameuse haine « cardinalisée » n’a pas les proportions qu’ont lui prête. Ainsi, l’image de Soul to soul, le rebelle, étreignant l’homme d’Abidjan n’est que la pièce d’une large fresque qui entend refermer la parenthèse du corps à corps, en inscrivant nos pas dans une logique de cœur à cœur. Communion d’âmes tournées vers la réconciliation.

La République vient au chevet d’un fils. Soul l’accueille et lui dit sa peine : une histoire de rafales qui entendaient venir à bout de la marche vers la paix. Personne ne peut tuer une âme, dit Platon, encore moins celle de la paix.

Autre image – sur les cimaises de notre actualité – celle de l’ONUCI : « Asseyons-nous et discutons », dit Abou Moussa, le chef de l’Opération des Nations en Côte d’Ivoire (ONUCI). L’homme souhaiterait des discussions avec les autorités ivoiriennes après l’attentat de Bouaké. « Il y a un problème qui est posé. Nous avons réagi. Je crois qu’il est plus important qu’on s’asseye pour en discuter, au lieu de se parler à travers la presse. Ça ne nous aide pas. Ça n’aide ni les victimes, ni les parents de ceux qui sont affectés » suggère le fonctionnaire de L’ONUCI. Une telle suggestion ne va pas sans entamer la présomption d’impartialité de la force onusienne. « Asseyons-nous et discutons » est une formule consacrée, en Côte-d’Ivoire, pour inviter à la table de discussions des termes antagonistes.

L’ONUCI aurait-elle solennellement renoncé à son statut de force impartiale, pour n’être aujourd’hui que l’un des pôles de la crise ivoirienne ? Comment expliquer le fait que malgré la présence massive de forces commises à la sécurisation du processus de paix des scènes du type de celles vécues à Bouaké soient possibles ? La rencontre que réclame Abou Moussa est des plus importantes, elle devra permettre une clarification du rôle des forces étrangères en Côte-d’Ivoire en fixant une fois pour toutes, les contours de l’action onusienne en terre ivoirienne.

Troisième image, celle donnée par le PDCI d’Aimé Henri Konan Bédié et son allié, du RDR, Alassane Ouattara. Sans tenir compte des récents coups de gueule de Sidiki Konaté – rappelant à ses alliés du RHDP que les Forces Nouvelles n’ont pas attendu le G7 pour exister – le parti de l’ex-président a apporté ses mots de réconfort aux Premier Ministre. « Le PDCI-RDA et son président, le Président Henri Konan Bédié, membre du Cadre Permanent de Concertation issu de l’accord de Ouagadougou, ont appris avec effroi et indignation l’attentat perpétré le vendredi 29 juin 2007 contre le Premier ministre Soro Guillaume ».

Le RDR a pour sa part condamné « avec fermeté ce lâche attentat » et exprimé « à nouveau son total soutien au Premier Ministre SORO Kigbafori Guillaume et son entière solidarité dans cette terrible épreuve ». Ainsi, au sein des Houphöuétistes , la photo de famille semble refuser prendre des rides et c’est tout à l’honneur de la Côte-d’Ivoire.

Quatrième image dans l’aquarelle de l’actualité ivoirienne, celle d’une personnalité de la mouvance présidentielle. Président de l’Alliance ivoirienne pour la République et la démocratie, Eric Kahé s’est lui aussi prononcé, sur l’attentat de Bouaké. Sa description dithyrambique du premier Ministre est édifiante. Le Conseiller spécial du président de la République a salué de manière appuyée le chef du gouvernement en qui il a vu un modèle de courage. Cet hommage appuyé d’une personnalité théoriquement hostile au Premier Ministre donne l’image d’une Côte-d’Ivoire capable de surmonter rapidement ses plus vifs différends.
L’événement de Bouaké est un acte malheureux. Il a toutefois réussi à tester les ressorts républicains de la classe politique ivoirienne. Les acteurs politiques surmontant les clivages de l’obédience ont convergé vers une solidarité qui devrait durer plus longtemps que l’instant d’un clic.

Excellences Lectrices, Excellences Lecteurs, malgré leur force de persuasion et de fascination, les images ne suffisent plus. Elles doivent passer le témoin à la concrétisation des intentions suggérées. S’il est réconfortant de voir la Côte-d’Ivoire offrir le tableau d’un pays surmontant ses contradictions, il essentiel de que soit transcendé en effectivité la crise, par l’effort conjugué des acteurs politiques ivoiriens.