L’image de Soul to Soul, chef du protocole de Soro Guillaume, étreignant le Président Gbagbo ? Décor surréel ! Les optimistes, même les plus généreux, n’auraient pas forcément envisagé, au début de la crise ivoirienne, une telle scène. Une sorte de logique « en domino » avait installé ses barbelés de fers, ronces dogmatiques chassant de la sphère du possible toute possibilité de conciliation. Et puis a émergé, de proche en proche, une suite d’apparitions rassurantes. Avant l’étreinte de Soul to Soul au Président Gbagbo, il y a bien eu la danse de Sidiki Konaté ou même encore l’abandon symbolique d’une arme au Président, un certain 4 juillet 2003.
Si à cela, l’on ajoute la longue photothèque de la caravane de la paix, il est possible d’affirmer que la galerie des scènes réconfortantes, dans la crise ivoirienne, n’est pas déserte. Elle côtoie assez bien le long film d’horreur s’étalant du charnier de Yopougon à l’attentat de l’aéroport de Bouaké en passant par les épouvantes de Monoko-zohi ou de Blody. Les scènes préfigurant la paix sont nombreuses, poignantes étreintes, chargées d’une vérité incoercible : la guerre en Côte-d’Ivoire n’est ni insurmontable, ni fondée sur la prétendue haine d’un nord pour le sud et vice-versa.
Il est clair qu’en Côte-d’Ivoire comme ailleurs survivent bien quelques frictions entre communautés, mais le conflit dit ivoirien, dans son intensité, ses manifestations, sa durée et ses rebondissements ne pouvait être considérée comme procédant de la seule conjoncture endogène. Nous l’écrivions, au début de la crise, dans d’autres colonnes, cette guerre-ci, n’est pas, principalement, identitaire. Un porte-à-porte laborieux a tenté de montrer que la Côte-d’Ivoire se déchirait elle-même, selon le modèle de cruauté autocide théorisé par Stephen Smith.
Toute une hagiographie a été élaborée tentant de montrer qu’il fut un temps, celui d’Houphouët, où tout n’était que calme, beauté et volupté. Et puis était venue de nulle part, une ère de xénophobie qui avait mis le pays tout entier dans la guerre civile…fausse religion dont les adeptes sont de plus en plus nombreux à se mordre les doigts.
La querelle sur le sens à donner à ce pans de notre histoire n’est pas nécessairement refermée, mais des images claires montrent aujourd’hui que la fameuse haine « cardinalisée » n’a pas les proportions qu’ont lui prête. Ainsi, l’image de Soul to soul, le rebelle, étreignant l’homme d’Abidjan n’est que la pièce d’une large fresque qui entend refermer la parenthèse du corps à corps, en inscrivant nos pas dans une logique de cœur à cœur. Communion d’âmes tournées vers la réconciliation.
La République vient au chevet d’un fils. Soul l’accueille et lui dit sa peine : une histoire de rafales qui entendaient venir à bout de la marche vers la paix. Personne ne peut tuer une âme, dit Platon, encore moins celle de la paix.
Autre image – sur les cimaises de notre actualité – celle de l’ONUCI : « Asseyons-nous et discutons », dit Abou Moussa, le chef de l’Opération des Nations en Côte d’Ivoire (ONUCI). L’homme souhaiterait des discussions avec les autorités ivoiriennes après l’attentat de Bouaké. « Il y a un problème qui est posé. Nous avons réagi. Je crois qu’il est plus important qu’on s’asseye pour en discuter, au lieu de se parler à travers la presse. Ça ne nous aide pas. Ça n’aide ni les victimes, ni les parents de ceux qui sont affectés » suggère le fonctionnaire de L’ONUCI. Une telle suggestion ne va pas sans entamer la présomption d’impartialité de la force onusienne. « Asseyons-nous et discutons » est une formule consacrée, en Côte-d’Ivoire, pour inviter à la table de discussions des termes antagonistes.
L’ONUCI aurait-elle solennellement renoncé à son statut de force impartiale, pour n’être aujourd’hui que l’un des pôles de la crise ivoirienne ? Comment expliquer le fait que malgré la présence massive de forces commises à la sécurisation du processus de paix des scènes du type de celles vécues à Bouaké soient possibles ? La rencontre que réclame Abou Moussa est des plus importantes, elle devra permettre une clarification du rôle des forces étrangères en Côte-d’Ivoire en fixant une fois pour toutes, les contours de l’action onusienne en terre ivoirienne.
Troisième image, celle donnée par le PDCI d’Aimé Henri Konan Bédié et son allié, du RDR, Alassane Ouattara. Sans tenir compte des récents coups de gueule de Sidiki Konaté – rappelant à ses alliés du RHDP que les Forces Nouvelles n’ont pas attendu le G7 pour exister – le parti de l’ex-président a apporté ses mots de réconfort aux Premier Ministre. « Le PDCI-RDA et son président, le Président Henri Konan Bédié, membre du Cadre Permanent de Concertation issu de l’accord de Ouagadougou, ont appris avec effroi et indignation l’attentat perpétré le vendredi 29 juin 2007 contre le Premier ministre Soro Guillaume ».
Le RDR a pour sa part condamné « avec fermeté ce lâche attentat » et exprimé « à nouveau son total soutien au Premier Ministre SORO Kigbafori Guillaume et son entière solidarité dans cette terrible épreuve ». Ainsi, au sein des Houphöuétistes , la photo de famille semble refuser prendre des rides et c’est tout à l’honneur de la Côte-d’Ivoire.
Quatrième image dans l’aquarelle de l’actualité ivoirienne, celle d’une personnalité de la mouvance présidentielle. Président de l’Alliance ivoirienne pour la République et la démocratie, Eric Kahé s’est lui aussi prononcé, sur l’attentat de Bouaké. Sa description dithyrambique du premier Ministre est édifiante. Le Conseiller spécial du président de la République a salué de manière appuyée le chef du gouvernement en qui il a vu un modèle de courage. Cet hommage appuyé d’une personnalité théoriquement hostile au Premier Ministre donne l’image d’une Côte-d’Ivoire capable de surmonter rapidement ses plus vifs différends.
L’événement de Bouaké est un acte malheureux. Il a toutefois réussi à tester les ressorts républicains de la classe politique ivoirienne. Les acteurs politiques surmontant les clivages de l’obédience ont convergé vers une solidarité qui devrait durer plus longtemps que l’instant d’un clic.
Excellences Lectrices, Excellences Lecteurs, malgré leur force de persuasion et de fascination, les images ne suffisent plus. Elles doivent passer le témoin à la concrétisation des intentions suggérées. S’il est réconfortant de voir la Côte-d’Ivoire offrir le tableau d’un pays surmontant ses contradictions, il essentiel de que soit transcendé en effectivité la crise, par l’effort conjugué des acteurs politiques ivoiriens.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire