lundi 30 avril 2007

La Fête de la Liberté

Aujourd'hui, c'est la fête de la Liberté en Côte-d'Ivoire.
30 avril 1990-3o avril 2007 : il y a 17 ans, notre pays sortait de la nasse du parti unique.

Quel bilan ? Les temps étanchent-ils la soif de nos attentes? Aujourd'hui est jour de méditation.

Les pièges sont nombreux, les ennemis, légions. Mais le pays, fiers ivoiriens, nous appelle.
Soyons donc dignes de l'espérance promise à l'humanité!
Et merci encore à toi, combattant intrépide. Veuille Dieu guider tes pas.


Le vrai bonheur

Le vrai bonheur on ne le perd que lorsqu’on veut l’apprécier. Nous en avons fait l’expérience. Les choses ont débuté par un rêve fou : faire de la Côte-d’Ivoire une démocratie. Il était question d’obtenir des élections transparentes au pays de la technologie bien connue. Cela a coûté plus d’une dent casée, plus d’une côte brisée, plus d’un œil au beurre noir, plus d’un crâne bosselé.


Février 1992. Nangui Abrogoua. La procession ne recherchait qu’un seul bonheur : entendre dire que c’était mauvais de violer des gamines. Les matraques, eurent, pour ainsi dire, le bonheur de ne pas perdre leur temps. Claques, taloches, percussion en tous genres.


Mais comme nous n’étions pas à un rêve près, nous nous mîmes à rêver de santé et d’école, pour tous. Les matraques passèrent alors la main aux kalachs. Décompte : trois gouvernements de crabes, deux discours à la nation, une armée d’occupation. Persévérants, nous nous mîmes à rêver de Bouaké. Novembre 2004.


Parce que nous n’avions pas perdu le sens de la nostalgie, nous perdîmes, officiellement, le bonheur d’avoir une flotte aérienne. On nous avait pourtant bien prévenus. Nous n’avions pas à rêver des fruits de la liberté. Qu’importe. Nous rêvions depuis les premières heures. Et bien que la répression hier comme aujourd’hui, devait nous instiller la terreur, nous persévérâmes. On nous avait bien promis un bonheur à venir. Celui à déguster seulement perdu…

Mais l’histoire du vrai bonheur est aussi celle de l’ego mal renseigné. Pour s’imaginer être « le vrai bonheur », il fallait, s’être déjà pris, au moins une fois, pour le bonheur. Et notre société aura souffert, en grande partie, de la démesure de certaines de ses grandes orgues. Les maladies de l’ego, ne sont-elle pas le lot des grands hommes ? L’orgueil de Samory est connu, celui de Louis XIV, aussi. Mais il y a bien l’orgueil de Johnny Lafleur. Lui, a le mérite de ramener l’ego aux proportions de notre commune humanité.

Nous autres sommes d’un pays où un homme a prétendu un jour, avoir tiré les autres d’un trou. Mais à ce jeu que diraient Arthur Verdier et Treich-Laplène eux-mêmes ? Que diraient Angoulvant, Pechoux et les autres, eux qui nous auront appris à nous tenir à table et à enfiler des redingotes ? Pour saluer le vrai bonheur que nous apportèrent ses messieurs, nous n’eûmes d’autres mots que : « On nous a trop volé ! ». Evidemment, avec le courage qui nous caractérisait, nous ne pouvions choisir que la forme impersonnelle. L’imprécision, très commode, a le dos très large.


Il y eut aussi le vrai bonheur de la seconde chance. Petite pluie de rancoeurs qui promit les pires châtiments à nos colères au long cours. Quand vint l’heure des ajustements déstructurants, les cours en furie coiffèrent nos pluies lilliputiennes qui n’eurent d’autre issue que de tomber à l’oblique.


Il y eut aussi le vrai bonheur à la Tévoedjrè. L’homme vint nous sortir du trou de nos guerres fratricides. A une heure où nos dialogues étaient radicalement indirects. Une heure où nous n’avions ni le sens de la paix, ni celui de l’humour, ni de sens critique. Ecrasés par nos pulsions belliqueuses, nous ne pouvions échapper à la guerre. Mais vint Tévoedjrè, casqué d’une auréole chamarrée et ayant reçu mission divine de nous sauver. Il y mit tout son génie. Et sa sagesse. Et ses conseils aussi.


Et omment l’avons-nous remerciés ? Comment l’avons-nous célébré ? Il nous avait pourtant rappelé qu’il était notre dernière chance. En nous disant que viendrait l’heure de la fin. Temps de châtiments et d’amertume, pour nos crimes de lèse-béatitude. Lui, notre seul vrai bonheur, il fallait le croire.


Il eut aussi le prince de Morofê. Cheminot dakarois, qui promit de changer notre train de vie. Il nous tira du train-train quotidien par des discours particulièrement soporifiques et finit par finir en fumée par un matin d’avril. Lui aussi était notre vrai bonheur et nous l’avons méconnu. Choqué, par notre cécité, il parabola gravement, par un soir d’agonie politique : « les hommes sont des animaux bizarres ».


Ne comprenions-nous pas ces replis constants sur Yamoussoukro ? Ils étaient chargés de convoyer nos regards vers le paradis perdu. Mais là encore nous n’avions rien compris. Tous les signes concordaient pourtant : sang bleu, énigmes à chaque détour de phrase, éloges appuyés d’un président français, de préférence élancé. Le grand De gaulle avait salué le cerveau politique de premier ordre. Le grand Chirac vantait la sagesse du premier ministre aux ordres. La caution baptismale était donnée d’en haut, comment faisions-nous pour ne pas percevoir, la réincarnation du vrai bonheur ?

Il y eut aussi Henri Michel. Un brave type grâce auquel nous pûmes jouer notre première coupe du monde. Pour toute récompense, nous l’avons traité de suppôt du diable. Quelle ingratitude ! Henri avait eu pour contemporain Douk Saga qui sut anticiper sur notre sens de l’ingratitude. Lui savait que « les gens n’aiment pas les gens », mais que « les gens aiment l’argent des gens ». Alors ce cher Doukouré, nous conseilla, chacun à son niveau, de faire sa propre éloge, afin d’être… autosuffisant.


Le vrai bonheur était pour ce garçon radicalement mêlé à une caresse de l’ego. Il nous avait parlé de sagacité, l’autre nom de l’esprit critique. Et nous avions tout compris. Sous la gesticulation et les apparitions surfaites, il y avait une revanche à prendre. De la rancœur envers cette vie qui ne caressait pas toujours les gens dans le sens du poil.


Douk Saga, dans sa quête du vrai bonheur nous aura appris ceci : l’esprit critique on ne s’en vante que lorsqu’on l'a perdu. Faisons en sorte de ne pas le perdre. Une telle victoire sur nous- même est possible, si nous savons nous tenir à distance raisonnable de la rancœur, un sentiment qui donne aux enfants l’illusion d’avoir atteint la puberté, quand ils n’en sont qu’au stade phallique.

mardi 24 avril 2007

A la lumière d'Haiti (1)


Ils avaient pour nom Louverture, Dessalines, Christophe, Pétion, Clervaux, Boisrond-Tonnerre… officiers noirs et métis insurgés contre la prédation. Ils inaugurèrent la geste que mimeraient, moins radicalement, des centaines d’années plus tard, Azikiwé, Houphouët, NKrumah, Kenyatta.
C’était Saint-Domingue, la chaleur torride des champs de bataille, l’armée de Dessalines mettant en déroute les hordes esclavagistes.
1803, Napoléon, empereur de France, avait décidé de remettre des nègres dans les fers. Mais le rêve esclavagiste s’était brisé, cette année là, sur l’indicible fulgurance, l’orgueil sublime des anciens esclaves insurgés contre la piraterie assermentée.
La Révolution bien connue de 1789 n’avait-elle pas eu la prétention d’universaliser les valeurs de Liberté et d’Egalité ? C’est donc naturellement que Dessalines exigeait pour Haïti ce qui était un droit à portée de tout homme. Mais à cette aspiration des plus légitimes, Bonaparte avait répondu par le bâton, chargeant Leclerc et Rochambeau de faire gicler le sang Haïtien. 70 000 spadassins furent donc acheminés de la France, avec pour mission impériale de faire tinter, à nouveau, les chaînes d’un bout à l’autre de la grande île.

Et violent, comme dirait Nokan, fut le vent. Rude cette bataille qui vit les résistants Haïtiens en découdre avec la soldatesque bonapartiste. Après des jours d’un affrontement cruel – le bien nommé Rochambeau étant de la partie – les français mordirent la poussière, le 18 novembre 1803, à Vertières, vaincus par Dessalines.
Un mois et demi plus tard, les vainqueurs de la France proclamèrent l’indépendance d’Haïti, la première née.
Boisrond-Tonnerre, noir, intellectuel, Historien, Officier, Secrétaire de Dessalines, rédigea dans un français impeccable, en ce début du 19ème siècle, la déclaration d’indépendance d’Haïti, palpitante parole que voici :

« Citoyens, ce n'est pas assez d'avoir expulsé de votre pays les barbares qui l'ont ensanglanté depuis deux siècles ; ce n'est pas assez d'avoir mis un frein aux factions toujours renaissantes qui se jouaient tour à tour du fantôme de liberté que la France exposait à vos yeux ; il faut, par un dernier acte d'autorité nationale, assurer à jamais l'empire de la liberté dans le pays qui nous a vus naître ; il faut ravir au gouvernement inhumain, qui tient depuis longtemps nos esprits dans la torpeur la plus humiliante, tout espoir de nous réasservir ; il faut enfin vivre indépendant ou mourir (…) Les généraux, pénétrés de ces principes sacrés, après avoir donné d'une voix unanime leur adhésion au projet bien manifesté d'indépendance, ont tous juré à la postérité, à l'univers entier, de renoncer à jamais à la France, et de mourir plutôt que de vivre sous sa domination ».

Aux côtés d’un tel chef-d’œuvre maximaliste, la déclaration d’indépendance de Lumumba fait figure de chansonnette romantique, celles de Sékou Touré et N’Krumah, figure de déclarations diplomatiques.
Puis vint le temps des errements. Dessalines, nous dit l’histoire, après avoir milité pour une gestion moderne de l’île, fit chavirer le destin national de la voie institutionnelle vers les méandres de l’individualité, de l’autoritarisme. Proclamé empereur à vie, il sera mort, assassiné, au bout de deux ans : 17 octobre 1806, Pont Rouge, des hommes en embuscade et le corps de l’empereur encorné des feux de Gabat et de ses compères. Ensuite, bagarre autours du butin, guéguerre de généraux conspirateurs et partition du pays, deux ans seulement après la Révolution, suite ininterrompue de violence…
Mais, malgré ce drame vivant que constituent l’histoire et l’actualité d’Haïti, ce pays semble ne pas être suffisamment lu de nos nations. Dessalines, NKrumah, Sankara et bien d’autres : mêmes modes de trahison, mêmes accusations de dérives autoritaires, même évocation d’idéaux dévoyés, même soumission. Nos histoires nationales ont l’air de se répéter. Destins fragmentaires, aventures solitaires, circuits à vue dans l’oubli constant de l’histoire d’Haïti, heure inaugurale, martyr permanent.
Où donc est le corpus académique sur Haïti ? Quelle place nos institutions scolaires réservent-elles à ce pays, braise paradigmatique, pédagogie vivante aux nations affranchies de la domination occidentale ?
L’intellectuel africain moyen sait des pans de la Révolution française. Gavé de slogans bolcheviques, il connaît Staline, Lénine, Kroutchev, Béria et les autres. Mais que sait-on de « Louverture », Toussaint, le fils d’Hyppolite…Gaou ? Que sait-on de Dessalines, que sait-on de ces noirs, qui très longtemps avant Césaire, Senghor, Damas posèrent les présupposés de ce que serait la Négritude ?
Quelle haine, quelle rancœur quelle amnésie cultivée entend par tous les moyens déconnecter l’Afrique de cette île qui longtemps porta sur ses frêles sentes toute l’histoire de la dignité noire ? Haïti a besoin du concours de l’Afrique. Ce pays, exemplaire dans sa lutte émancipatrice, est devenu un contre exemple, une nation où il ne fait guère bon vivre. En cela Haïti ne diffère pas fondamentalement de la plupart des nations africaines.
Et le camerounais Christian Lang de conclure : « L’Afrique connaît les mêmes tares et difficultés qu’Haïti. Une similitude de destin fatale. Les deux peuples noirs ont besoin d’une autre révolution. Celle qui concourt au bien-être des populations, au développement effectif, à l’essor de la démocratie, à l’avènement de la liberté sociale et politique...Toussaint Louverture et les autres révolutionnaires voudraient que leurs descendants soient heureux. »
Le rêve de grandeur Haïtien peut-il être caressé, sans un profond ancrage en Afrique ? Pareillement, peut-on rêver de grandeur pour l’Afrique sans avoir su chérir Haïti, bourgeon de la liberté noire ?« Ayiti sé maman libèté. Si l tombé la lévé » (« Haïti est la mère de la liberté. Elle peut tomber, elle se relèvera ! »), dit le chant populaire Haïtien.
A nous de l’entendre et d’en diffuser l’écho à chaque recoin de notre espace victime de serres séparatistes. Haïti doit se relever et l’Afrique avec elle. Soyons de l’aventure sublime ! Haïti ?
Une parabole de l’Afrique !

A la lumière d'Haiti (2)



Pourquoi s’émouvoir d’une lointaine île alors que le carré d’Eburnie en est à subir la bourrasque ? Pourquoi évoquer la mémoire quand le quotidien tourne en bourrique nos grandes orgues ? Que viennent chercher Clervaux, Geffrard, Dessalines, Pétion et autres ombres, dans nos bonnes palabres africaines ? Palabres formatées, paramétrées, millimétrées pour n’être jamais que des foires autistes, des querelles intestines ? Pourquoi ne pas rire, une bonne fois pour toute, de la bonne vieille jacquerie Dessaliniste, comme nous le recommande bigrement une approche pèquenaude de l’histoire ?
C’est que, sous ses prétentions novatrices, l’hymne à l’amnésie n’est au fond qu’un discours fripérique, écho de quolibets déjà bien vermoulus.


C’est avec Sténio Vincent que la parole en trou de mémoire trouve, en 1910 déjà, l’une de ses voix les plus décisives. Alors que le discours local tient pour indissoluble le lien entre Haïti et l’Afrique, Vincent s’indigne de la propension des siens à s’imaginer des frères au-delà de la terre de déportation.
Le recours incessant à une Afrique maternelle ne semble relever, pour lui, que du fantasme. Il faut, pense-t-il, jeter par-dessus bord le souvenir douloureux des cales, le crissement amer des chaînes, l’attachement quasi mystique d’Haïti à des divinités noires. Ainsi, le discours «indigéniste» des années Price-Mars ou Jacques Roumain, ne fera qu’agacer ce bon monsieur Vincent de la société policée.


Dans un bouquin intitulé «La République d’Haïti telle qu’elle est», Sténio Vincent écrira : «Nous avons déjà trop à faire pour nous-mêmes [...] pour nous astreindre à d’encombrantes solidarités de race». Pour cet homme qui deviendrait président d’Haïti 24 ans après la publication de son bréviaire égocentrique, le pragmatisme recommandait, au moins momentanément, la répudiation de l’objet d’une certaine mémoire collective haïtienne : l’Afrique. Pour lui, la prospérité ne serait advenue que comme récompense au voeu de pauvreté historique du peuple haïtien.


Ce discours de Vincent est paradigmatique, disons symptomatique d’un certain opportunisme par lequel bien d’ex-colonisés célèbrent la Tactique au détriment de la Stratégie. Acte de contingence, la première s’arrime aux voiles du factuel, la seconde, elle, ne sait faire l’économie de la mémoire.
Que la Stratégie exhume des fossiles, trifouille des sarcophages, décrasse des stèles, paraît bien stérile à la Tactique dont le sens premier est de se garantir la pitance en astiquant, au besoin, les bottes du discours dominant. C’est à ce jeu que la parole tacticienne se fait, bien souvent, parole snobe et discours d’intériorisation du préjugé colonialiste.
Le snobisme tacticien se décline sous la forme d’une agitation de clichés, par endossement systématique des vues à la mode, par rejet des opinions médiatiquement tenues en échec. Il peut ainsi arriver que le snob ressente le besoin d’aborder les faits, par exemple, sous un angle marxiste. Mais le complexe de classe dissimulé derrière de brumeuses prétentions progressistes, lui impose le reniement de développements susceptibles de le faire passer pour ringard.
Employé du prêt-à-penser, le snob n’interprétera les faits que sur la seule base des béquilles. Le faisant, il oubliera que la posture de l’«intellectuellement correct» assassine l’intuition et reste le canal privilégié de l’intériorisation du préjugé prédateur. Sur le sujet d’Haïti, c’est à une réelle opération d’introspection que nous sommes donc invités.


Avec quels mots, quels présupposés, quels paradigmes lisons-nous Haïti ? Sommes-nous tentés d’aborder cette terre dans les termes du discours dominant ? Avons-nous suffisamment ingurgité la rhétorique des vaincus de Vertières ? En sommes-nous suffisamment empoisonnés pour prêter à Napoléon la victoire de Dessalines, assez saouls pour réclamer la recolonisation de nos pays ?
C. Texier avait bien pu dire, que l’observateur «le plus enclin à l’indulgence et à l’amour de l’humanité sent infailliblement après un court espace de temps consacré à l’étude des Nègres, ses dispositions négrophiles devenir négrophobes, et plus il étudie cette race disgraciée, plus il se sent éloignée d’elle (…)] Haïti est le plus frappant exemple qui caractérise toute la race entière».
Ce bavardage gobiniste trouve un écho retentissant dans le discours même de certains Africains. Alors que bien d’intellectuels ivoiriens, par exemple, avaient condamné, au début de la guerre, les velléités de l’ancienne puissance coloniale, nous en sommes arrivés, quatre ans plus tard, à des reniements spectaculaires, marqués en coin, par un soupir masochiste.


Pour se donner des allures d’observateurs objectifs, il a fallu à certains se croire obligé de cracher sur leurs icônes de la veille, ou de tourner en bourrique leurs propres rêves. Cette giration leur a semblé être le gage d’une prise de distance avec les loups patriotards et leurs maitres-à-gueuler.
Un reniement aussi bouffon ne peut que faire penser aux assimilés de Damas, sapés à la diable, dans leurs souliers/ leur smoking/ leur plastron/ leur faux-col/ leur monocle/ leur melon et soucieux de montrer qu’ils se différencient assez clairement des nègres marrons, ensorbonnés et agoraphiles, miséreux dont les orteils sourient de «façon assez puante» au fond de la tanière entrebâillée de leurs souliers patriotiques.


N’en déplaise à la race des renégats et autres tacticiens éclopés : Haïti, pauvre ou riche, restera toujours un héritage de l’Afrique. De sorte que le continent ne pourra en faire l’économie sans ajouter une autre ligne au casier de ses responsabilités delaissées.


Méditons ensemble cette parole d’un journaliste de Le Monde «Bicentenaire : la naissance de la première République indépendante noire au monde. C'est un anniversaire en forme de deuil, celui d'un espoir continuellement trahi. Pays de près de huit millions d'habitants, le plus pauvre des Amériques, Haïti est ravagé par le sida. Ce qui reste d'économie est organisé autour du trafic de cocaïne. Dictature et corruption au sommet de l'Etat sont telles que la communauté internationale a suspendu son aide».
Ce scandale doit-il se perpétuer ?

Wader-gate !

Certains chefs d’Etats ouest-africains trouvent que la nationalité ivoirienne est (devenue) incompatible avec le Gouvernorat de la Bceao. Le nom d’un de nos compatriotes a été entendu à Ouagadougou, mais la flagrante « ivoirité » de son patronyme n’a pas manqué d’agacer les oreilles d’Abdoulaye Wade, donné pour mentor de la campagne anti-ivoirienne.


La Bceao n’a donc toujours pas de Gouverneur et le temps que Compaoré ait achevé les consultations qui devraient déboucher sur le choix d’un remplaçant à notre concitoyen Konan Banny, le burkinabé Damo Baro, occupera le fauteuil du Prince de Morofê. On le sait, la tradition veut que la Bceao soit gouvernée par un ivoirien, comme la même tradition veut aussi que la terre sénégalaise soit la seule habilitée à abriter le siège central de la Bceao. C’est cette coutume que l’on entend escamoter en contestant à la Côte-d’Ivoire son traditionnel « privilège ».


Pourtant, la notion de « gouvernorat tournant » sous des dehors égalitaristes masque mal sa mesquinerie. Car, pour être conséquente, une telle idée devrait aussi logiquement s’accompagner de celle d’un siège central mobile, « tournant» de Dakar vers n’importe quelle autre capitale ouest africaine… afin de garantir à la Bceao son parfait brevet d’aptitudes giratoires.


Le gouvernorat ivoirien, qu’il s’agit bien de « casser » comme se plaisent à en rêver les anti-ivoiriens, n’est fondé sur aucune forme de tyrannie. La Bceao est ce groupe au sein duquel la Côte-d’Ivoire détient 43 % de la masse monétaire, suivie d’un Sénégal fort de ses 20%. En raison du poids économique de la Côte-d’Ivoire – qui garde d’ailleurs ses 43 % malgré la crise – les Chefs d’Etat de la Cedeao ont toujours jugé conséquent d’attribuer le gouvernorat à notre pays et le siège de l’institution au Sénégal des 20%. Certains présidents ouest africains voudraient, partialement, mettre en crise cet équilibre. Mais quelle est donc la place de l’honnêteté dans la lutte pour l’hégémonie ?



Traités, chartes et accords internationaux recommandent aux Etats de ne jamais servir de base arrière aux rébellions armées. Cette interdiction qui va bien au delà de la seule restriction spatiale se trouve, dans les faits contournée par des choix et postures diplomatiques. La revendication d’un gouvernorat tournant, précisément à une heure de difficulté politique en Côte-d’Ivoire, n’est rien d’autre qu’un prolongement de la main des hordes assaillantes. Mais la rébellion ivoirienne, après avoir fait saliver plus d’un, à la perspective d’un effondrement du leadership économique ivoirien, n’a pu tenir ses « promesses » corrosives…

Finalement, l’épisode de Ouagadougou, au delà de ses péripéties, nous interpelle au moins en trois points.


Premièrement, au niveau des mécanismes électoraux en vigueur au sein de la Bceao. Pour éviter l’aventure, la Bceao devrait sans doute substituer à la coutume des textes de loi clairs. C’est-à-dire qu’elle devrait formaliser son cadre « gouvernoral » en tirant les conséquences des rapports de forces économiques en présence. La coutume a déjà eu la lucidité de tenir compte d’un tel paramètre, reste à la loi de les formaliser et de les protéger.


Deuxièmement, au niveau des rapports entre l’Exécutif sénégalais et la Bceao. Le Président du Sénégal serait-il celui de la Bceao ? L’exécutif dakarois aurait-il le droit d’interférer dans les questions internes à l’institution ? Des voix introduites prêtent à Wade d’avoir exhibé devant ses pairs à Ouagadougou, une documentation attentatoire à la gestion de notre concitoyen Charles Konan Banny. Mais comment de tels dossiers, s’ils existent, ont-il pu se retrouver sous le boubou du pape du Sopi ? Par ailleurs, le burkinabé Damo Baro peut-il être étranger à ce qui ne serait, si prouvé, qu’une scandaleuse « fuite » ?


Troisièmement, Ouagadougou nous interpelle au niveau des représentations de l’alternance et des modes d’accès à la promotion : qu’est-ce qui doit vraiment tourner en Afrique de l’ouest, le gouvernorat ou les économies nationales ? Un certain réflexe pousse à accorder plus d’intérêt aux fonctions qu’aux normes techniques requises à leur l’exercice.



La question de la promotion, après s’être banalisée dans nos administrations, en affaire de « Gbass » ou de « Djigbo , finit par faire du contentieux électoral la cause principale des guerres sur le continent. A vrai dire, le débat sur le gouvernorat tournant aurait été plus productif dans l’effort économique des pays de notre sous région à supplanter, loyalement, le champion ivoirien. Une telle compétition serait plus bénéfique à nos finances nationales respectives et relativiserait, un tant soit peu, le problème de l’immigration incontrôlée.

Excellences Lectrices, Excellences Lecteurs, ce que je pense vraiment de cette affaire de tournis je vais vous le dire sans tourner en rond : Wade et Tandja doivent tourner la page du gouvernorat tournant, car la vérité est sans détours : « Le Gouverneur a été ivoirien et sera ivoirien ».

lundi 23 avril 2007

Dadié, Dostoievski et Dieu

Bernard Dadié est orfèvre des lettres, Maître des planches, seigneur du vers, astre de la connaissance, parangon de la Côte-d’Ivoire littéraire. Pour de nombreuses générations d’Africains, son nom trônera toujours aux côtés de ceux de Césaire, Damas, Senghor, Hugo. Dans l’ordre normal, un tel homme est, à tout le moins, un mythe. Et ce mythe nous est apparu sur des bancs d’école, dans toute la simplicité de sa grandeur, à la fois comme objet d'études et sujet de notre histoire nationale.

Enfants de l’école ivoirienne, nous ne pouvions pas ne pas vénérer l’homme par qui la Côte-d’Ivoire littéraire s’est mise debout pour la première fois ! Ce Louverture de nos lettres ! Cette pierre inaugurale de nos pages ! Cette touche angulaire de notre édifice cognitif ! Qu’un kangourou d’Australie ou un sapajou d’Amazonie se soit alors mépris sur les ressorts de notre vénération, n’eut en rien offensé notre culte. Les voix dans le vent, Les jambes du fils de Dieu, Hommes de tous les continents, Le pagne noir, Iles de tempête… ne charmeront jamais, on le sait, l’œil – droit ou gauche – d’un sapajou, d’un macaque ou d’un ouistiti affairé à ses tapageuses culbutes.


Personne ne serait jamais allé demander à un pongo ou à un gibbon de s’émouvoir de l’écriture théâtrale de Dadié. Il en est peut-être ainsi, parce que finalement, seul l’homme, comme le pense Twain, reste un animal religieux, le sens de la vénération, le respect du sacré, demeurant sans doute la marque la plus décisive de sa rupture avec le règne animal.

En le croyant, nous avions pensé qu’une société s’édifiait sur le respect de valeurs. Nous avions cru que l’institution académique et ses acteurs portaient la responsabilité de la transmission des conventions nécessaires à la survie et à l’épanouissement du groupe. Pour nous, l’école laïque, née des Lumières occidentales, en destituant le Dieu chrétien, n’évacuait ni la croyance, ni le respect des absolus, ni même la dévotion.


Il n’y avait eu, avions-nous pensé, qu’une redistribution des cartes, une recomposition du paysage ontologique, prêtant simplement aux objets et sujets de connaissance la place des absolus démis. Dans ce culte réformé, l’enseignant, avions-nous pensé, méritait respect, tout comme ne pouvaient être que vénérés ceux dont la pertinence et la trajectoire intellectuelle constituaient déjà en soi des objets de connaissance. C’est pourquoi, les armoiries vivantes de nos lettres, les étendards majestueux de nos arts les bannières étincelantes de nos sciences nous avaient tout simplement paru des métaphores de l’absolu.

Dans le culte français à Hugo, dans la déférence sénégalaise à Senghor, dans la louange haïtienne à Price-Mars, dans la vénération allemande à Goethe, dans le panégyrique russe à Dostoïevski, dans l’hommage malgache à Rabéarivélo, il y avait, nous avait-il semblé, l’hommage nécessaire des nations aux arts, aux lettres et aux sciences ; pour tout dire, l’hommage au savoir tout court, lequel nous a toujours semblé la base des sociétés assoiffées de progrès et d’épanouissement certain !


Pour nous donc, une destitution de Dadié en Côte-d’Ivoire, une liquidation de Senghor au Sénégal, une évacuation de Hugo en France… ne pouvaient être qu’assassinats symboliques de l’absolu et de fait marques d’une chute dégressive. Nous pensons avec Dostoïevski, aujourd’hui plus que jamais, que Dieu mort, tout est permis, même l’anthropophagie, Dieu mort, s’ouvre l’enfer géosynclinal, pandémonium moral aux quatre coins de la cité scarifiée.


Il fallait que Dieu soit mort pour que Fofié fût donné pour Patriote, que Dieu soit mort pour que le patriotisme ne pût être quantifié à l’aune de l’allégeance à la terre originaire, que Dieu soit mort, pour que Marcellin Yacé fût résumé en un régime, que Dieu soit mort pour qu’une giboulée, absconse et inepte, se fût risquée à tutoyer la brillance des étoiles.


Temps des ténias, parasitant l’aura du vénérable Maître Dinard. Bottey par ci, Dinard par là. Et que ne sont ils laquais de Charles Baudelaire, que dis-je, valets de Charlot, premier gahou, pris pour échelle vers les lambris crasseux du crime cosmétisé !
Or, voici que Dieu n’est pas mort. Voici qu’il ne meurt pas. Voici qu’il apparaît dans toute la gravité de la parole hyaline, couronné de ces lauriers de corail, si bellement chantés par Bohui Dali dans le Kostas Georgiu. Or, voici qu’il nous vient, tel Zékia, corps ardent de braise, au milieu de la vaine fusillade parricide. Sa voix est plus dure que jamais. Sans marteau, il martèle les siècles des compromissions serpentaires !


Excellences Lectrices, Excellences Lecteurs, cette vérité-ci est inscrite dans les paumes, les cils, les pores et même les duvets du destin : personne n’effacera jamais des cœurs, la brillance du nom de Bernard Binlin Dadié.
On n’efface pas des lettres d’or à la gomme d’un crachat !

Noces d'or au pays d'Ayi Kwei Armah

Le Ghana a fêté, le 6 mars 2007, ses cinquante ans d’indépendance. L’événement qui a enregistré la participation de nombreux Chefs d’Etats africains et celle de représentants du Black Caucus américain aura permis au Président Kufor de réaliser, allégoriquement, l’un des rêves les plus chers au père du Ghana moderne : faire d’Accra l’épicentre d’une rencontre du monde noir. L’agenda du cinquantenaire ne prévoyait pas de sommet et les personnalités, venues au pas de course, étaient toutes reparties, au bout de quelques heures, tiraillées, chavirées par leurs calendriers respectifs. N’empêche, elles avaient foulé le sol d’Accra, s’y étaient rassemblées, y avaient communié, campant au moins, symboliquement la geste panafricaniste idolâtrée par Kwame N’Krumah.
L’Osagyefo N’Krumah rêvait pour l’Afrique d’une grande aventure, d’une équipée solidaire qui replacerait au cœur de l’Afrique les leviers de la gestion politique, culturelle et économique du continent. Mais ce « rêve salubre », n’avait pu voir le jour, outragé, vilipendé, persiflé avant de défaillir, quelque part, au large de côtes guinéennes.
Kwame, berger lapidé, rejoignait, ainsi, Dessalines, Louverture et autres effigies de la rédemption, aux échafauds, semble-t-il, assortis à leur destin.

1 an, Noces de Coton : l’heure de la « démoustication »

Sir Charles Arden-Clarke, dernier gouverneur britannique de la Côte-de-l’Or, pensait, de bonne foi, devoir ricaner de la posture « rédemptrice » du leader ghanéen. En disant : « cherchez d’abord le royaume politique et les autres choses vous seront données par dessus », l’Osagyefo ne pouvait qu’amuser la bonne gente, lectrice de Voltaire, Locke, Marx. La langue du guide ghanéen, si « entachée » de références évangéliques, était forcément celle d’un pauvre hère en quête de légitimation. Pour le bon Sir Charles, la lutte des N’Krumah, Gbedemah, Botsio et autres « libérateurs » du Ghana, n’était que menterie de nègres parasitant une posture galiléenne porteuse de dividendes. C’était un acquis, voire un paradigme ivre de corroboration : il n’y avait, chez ces noirs de figure emblématique que de visage de la mystification. De gaulle pouvait bien, de sa stature hiératique, irradier le destin de la patrie française, il pouvait bien, à son peuple tourmenté, tenir le langage du guide illuminé. Mais pas Luther King, ce petit activiste, rêvant, péché suprême, en termes scripturaires, de lendemains meilleurs pour les siens. L’homme d’Atlanta ne pouvait être qu’opportuniste, Nazaréen de seconde main, Galiléen de récupération. Seule, sa fin tragique lui réserverait – aux yeux des béatificateurs de service – un ticket d’entrée au concert des messies assermentés. Mais à l’aune d’une telle balance, faudra prévoir de la place pour Hitler, Mussolini et Ceausescu, envoyés authentifiés par la tragédie de leur fin …
Bref, l’allergie aux icônes noires avait poussé Sir Charles Arden-Clarke à affirmer que seul…le moustique devait être choisi comme symbole de l’indépendance du Ghana. Cet insecte ayant été, selon Sir Arden-Clarke, le seul facteur d’opposition significatif à l’installation des colons britanniques au Ghana, c’était donc lui le vrai Osagyefo.
Une telle ode à l’anophèle, véritable hymne à la banalisation de l’altérité, aura-t-elle été étrangère à la fièvre incivique d’un certain Ghana des premières heures ? Il est probable que les noces de coton de la jeune nation aient servi à célébrer la démoustication conceptuelle de la mentalité ambiante.

9 ans, Noces de faïence : l’année où tout s’est brisé

9 ans, c’est le temps qu’a duré le règne du guide ghanéen à la tête de l’Etat indépendant. Un temps marqué par le progrès, mais aussi par une certaine répression. A un niveau personnel N’Krumah passe pour avoir vécu anxieux, si l’on en croit le militaire anglais David Rooney qui écrit au sujet de l’Osagyefo : « il semble éprouver un grand sentiment d’insécurité intérieur (…) Et quand en avril, il part en visite en Côte-d’Ivoire, invité par Houphouët-Boigny, il n’avertit personne de ce déplacement (…) De plus pendant cette absence, il ne désigne personne pour assurer son intérim à la tête du gouvernement ».
L’année de leurs noces de faïence, la romance de N’Krumah et du Ghana s’est brisée, sous des coups de bottes.

11 ans, Noces de Corail : le virage Ayi Kwei

L’écrivain ghanéen Ayi Kwei Armah, par son œuvre The Beautyful Ones Are not Yet Born (1968), (Traduction française : « L’Age d’or n’est pas pour demain »), marque un grand moment dans les Lettres de son pays. Peignant sans complaisance la corruption rampante, l’œuvre d’Ayi Kwei met en scène un personnage, l’Homme, travailleur des chemins de fer, honnête citoyen devenu excroissance, dans un climat de prévarication généralisée. Lecture sans complaisance de l’ère post-coloniale, The Beautyful Ones Are not Yet Born, partage l’amertume de l’oracle de René Dumont « L’Afrique noire est mal partie » et reste l’apologie d’un certain ascétisme. Le livre d’Ayi Armah véhicule, par ailleurs, selon Kangni Alem l’idée qui veut que « l’expiation du mal passe nécessairement par l’humilité retrouvée ! »

50 ans, Noces d’or : l’âge d’or pour autant ?

Le Ghana c’est aujourd’hui 22 millions d’habitants et la 136ème place sur 177 pays, selon l’indice de développement de l’ONU. Un pays, que l’on dit aussi en difficulté sur la question de l’eau et de l’électricité, mais relativement stable, à présent, après deux décennies de turbulence politique. Les Etats-Unis de Bush, en 2005, ont présenté le Ghana comme un modèle de stabilité, mais le 6 novembre 2004, des militaires ghanéens avaient été arrêtés, selon les autorités, pour « tentative de coup d’Etat contre » le Président Kufor. Le Ghana est toutefois un pays où peuvent se tenir de élections, un pays où Kufor a tranquillement été élu en 2000 et réélu en 2004. Mais le Ghana a-t-il pour autant atteint l’âge d’or, rêvé par l’écrivain ?

75 ans, Noces d’albâtre :

Quel Ghana dans les 25 ans ? Le Ghana dépeint par Ayi Kwei Armah ? Celui rêvé par N’Krumah, fort et radicalement investi dans la trame de l’Afrique réunifiée ? Ces questions qui demeurent, au fond, valables pour la Côte-d’Ivoire, méritent bien d’être posées à tous les Etats africains.
Excellences Lectrices, Excellences Lecteurs, le rêve panafricaniste conserve sa pertinence et toute son opportunité. Nos républiquettes, isolées, condamnées à l’insignifiance devant les gigantismes du monde actuel, y trouveraient la nécessaire voie d’épanouissement.. Mais pour ce faire, le continent devrait repousser, loin derrière lui, les barrières de l’intolérance et de la banalisation de l’altérité !