Ils avaient pour nom Louverture, Dessalines, Christophe, Pétion, Clervaux, Boisrond-Tonnerre… officiers noirs et métis insurgés contre la prédation. Ils inaugurèrent la geste que mimeraient, moins radicalement, des centaines d’années plus tard, Azikiwé, Houphouët, NKrumah, Kenyatta.
C’était Saint-Domingue, la chaleur torride des champs de bataille, l’armée de Dessalines mettant en déroute les hordes esclavagistes.
1803, Napoléon, empereur de France, avait décidé de remettre des nègres dans les fers. Mais le rêve esclavagiste s’était brisé, cette année là, sur l’indicible fulgurance, l’orgueil sublime des anciens esclaves insurgés contre la piraterie assermentée.
La Révolution bien connue de 1789 n’avait-elle pas eu la prétention d’universaliser les valeurs de Liberté et d’Egalité ? C’est donc naturellement que Dessalines exigeait pour Haïti ce qui était un droit à portée de tout homme. Mais à cette aspiration des plus légitimes, Bonaparte avait répondu par le bâton, chargeant Leclerc et Rochambeau de faire gicler le sang Haïtien. 70 000 spadassins furent donc acheminés de la France, avec pour mission impériale de faire tinter, à nouveau, les chaînes d’un bout à l’autre de la grande île.
Et violent, comme dirait Nokan, fut le vent. Rude cette bataille qui vit les résistants Haïtiens en découdre avec la soldatesque bonapartiste. Après des jours d’un affrontement cruel – le bien nommé Rochambeau étant de la partie – les français mordirent la poussière, le 18 novembre 1803, à Vertières, vaincus par Dessalines.
Un mois et demi plus tard, les vainqueurs de la France proclamèrent l’indépendance d’Haïti, la première née.
Boisrond-Tonnerre, noir, intellectuel, Historien, Officier, Secrétaire de Dessalines, rédigea dans un français impeccable, en ce début du 19ème siècle, la déclaration d’indépendance d’Haïti, palpitante parole que voici :
« Citoyens, ce n'est pas assez d'avoir expulsé de votre pays les barbares qui l'ont ensanglanté depuis deux siècles ; ce n'est pas assez d'avoir mis un frein aux factions toujours renaissantes qui se jouaient tour à tour du fantôme de liberté que la France exposait à vos yeux ; il faut, par un dernier acte d'autorité nationale, assurer à jamais l'empire de la liberté dans le pays qui nous a vus naître ; il faut ravir au gouvernement inhumain, qui tient depuis longtemps nos esprits dans la torpeur la plus humiliante, tout espoir de nous réasservir ; il faut enfin vivre indépendant ou mourir (…) Les généraux, pénétrés de ces principes sacrés, après avoir donné d'une voix unanime leur adhésion au projet bien manifesté d'indépendance, ont tous juré à la postérité, à l'univers entier, de renoncer à jamais à la France, et de mourir plutôt que de vivre sous sa domination ».
Aux côtés d’un tel chef-d’œuvre maximaliste, la déclaration d’indépendance de Lumumba fait figure de chansonnette romantique, celles de Sékou Touré et N’Krumah, figure de déclarations diplomatiques.
Puis vint le temps des errements. Dessalines, nous dit l’histoire, après avoir milité pour une gestion moderne de l’île, fit chavirer le destin national de la voie institutionnelle vers les méandres de l’individualité, de l’autoritarisme. Proclamé empereur à vie, il sera mort, assassiné, au bout de deux ans : 17 octobre 1806, Pont Rouge, des hommes en embuscade et le corps de l’empereur encorné des feux de Gabat et de ses compères. Ensuite, bagarre autours du butin, guéguerre de généraux conspirateurs et partition du pays, deux ans seulement après la Révolution, suite ininterrompue de violence…
Mais, malgré ce drame vivant que constituent l’histoire et l’actualité d’Haïti, ce pays semble ne pas être suffisamment lu de nos nations. Dessalines, NKrumah, Sankara et bien d’autres : mêmes modes de trahison, mêmes accusations de dérives autoritaires, même évocation d’idéaux dévoyés, même soumission. Nos histoires nationales ont l’air de se répéter. Destins fragmentaires, aventures solitaires, circuits à vue dans l’oubli constant de l’histoire d’Haïti, heure inaugurale, martyr permanent.
Où donc est le corpus académique sur Haïti ? Quelle place nos institutions scolaires réservent-elles à ce pays, braise paradigmatique, pédagogie vivante aux nations affranchies de la domination occidentale ?
L’intellectuel africain moyen sait des pans de la Révolution française. Gavé de slogans bolcheviques, il connaît Staline, Lénine, Kroutchev, Béria et les autres. Mais que sait-on de « Louverture », Toussaint, le fils d’Hyppolite…Gaou ? Que sait-on de Dessalines, que sait-on de ces noirs, qui très longtemps avant Césaire, Senghor, Damas posèrent les présupposés de ce que serait la Négritude ?
Quelle haine, quelle rancœur quelle amnésie cultivée entend par tous les moyens déconnecter l’Afrique de cette île qui longtemps porta sur ses frêles sentes toute l’histoire de la dignité noire ? Haïti a besoin du concours de l’Afrique. Ce pays, exemplaire dans sa lutte émancipatrice, est devenu un contre exemple, une nation où il ne fait guère bon vivre. En cela Haïti ne diffère pas fondamentalement de la plupart des nations africaines.
Et le camerounais Christian Lang de conclure : « L’Afrique connaît les mêmes tares et difficultés qu’Haïti. Une similitude de destin fatale. Les deux peuples noirs ont besoin d’une autre révolution. Celle qui concourt au bien-être des populations, au développement effectif, à l’essor de la démocratie, à l’avènement de la liberté sociale et politique...Toussaint Louverture et les autres révolutionnaires voudraient que leurs descendants soient heureux. »
Le rêve de grandeur Haïtien peut-il être caressé, sans un profond ancrage en Afrique ? Pareillement, peut-on rêver de grandeur pour l’Afrique sans avoir su chérir Haïti, bourgeon de la liberté noire ?« Ayiti sé maman libèté. Si l tombé la lévé » (« Haïti est la mère de la liberté. Elle peut tomber, elle se relèvera ! »), dit le chant populaire Haïtien.
A nous de l’entendre et d’en diffuser l’écho à chaque recoin de notre espace victime de serres séparatistes. Haïti doit se relever et l’Afrique avec elle. Soyons de l’aventure sublime ! Haïti ?
Une parabole de l’Afrique !