lundi 23 avril 2007

Noces d'or au pays d'Ayi Kwei Armah

Le Ghana a fêté, le 6 mars 2007, ses cinquante ans d’indépendance. L’événement qui a enregistré la participation de nombreux Chefs d’Etats africains et celle de représentants du Black Caucus américain aura permis au Président Kufor de réaliser, allégoriquement, l’un des rêves les plus chers au père du Ghana moderne : faire d’Accra l’épicentre d’une rencontre du monde noir. L’agenda du cinquantenaire ne prévoyait pas de sommet et les personnalités, venues au pas de course, étaient toutes reparties, au bout de quelques heures, tiraillées, chavirées par leurs calendriers respectifs. N’empêche, elles avaient foulé le sol d’Accra, s’y étaient rassemblées, y avaient communié, campant au moins, symboliquement la geste panafricaniste idolâtrée par Kwame N’Krumah.
L’Osagyefo N’Krumah rêvait pour l’Afrique d’une grande aventure, d’une équipée solidaire qui replacerait au cœur de l’Afrique les leviers de la gestion politique, culturelle et économique du continent. Mais ce « rêve salubre », n’avait pu voir le jour, outragé, vilipendé, persiflé avant de défaillir, quelque part, au large de côtes guinéennes.
Kwame, berger lapidé, rejoignait, ainsi, Dessalines, Louverture et autres effigies de la rédemption, aux échafauds, semble-t-il, assortis à leur destin.

1 an, Noces de Coton : l’heure de la « démoustication »

Sir Charles Arden-Clarke, dernier gouverneur britannique de la Côte-de-l’Or, pensait, de bonne foi, devoir ricaner de la posture « rédemptrice » du leader ghanéen. En disant : « cherchez d’abord le royaume politique et les autres choses vous seront données par dessus », l’Osagyefo ne pouvait qu’amuser la bonne gente, lectrice de Voltaire, Locke, Marx. La langue du guide ghanéen, si « entachée » de références évangéliques, était forcément celle d’un pauvre hère en quête de légitimation. Pour le bon Sir Charles, la lutte des N’Krumah, Gbedemah, Botsio et autres « libérateurs » du Ghana, n’était que menterie de nègres parasitant une posture galiléenne porteuse de dividendes. C’était un acquis, voire un paradigme ivre de corroboration : il n’y avait, chez ces noirs de figure emblématique que de visage de la mystification. De gaulle pouvait bien, de sa stature hiératique, irradier le destin de la patrie française, il pouvait bien, à son peuple tourmenté, tenir le langage du guide illuminé. Mais pas Luther King, ce petit activiste, rêvant, péché suprême, en termes scripturaires, de lendemains meilleurs pour les siens. L’homme d’Atlanta ne pouvait être qu’opportuniste, Nazaréen de seconde main, Galiléen de récupération. Seule, sa fin tragique lui réserverait – aux yeux des béatificateurs de service – un ticket d’entrée au concert des messies assermentés. Mais à l’aune d’une telle balance, faudra prévoir de la place pour Hitler, Mussolini et Ceausescu, envoyés authentifiés par la tragédie de leur fin …
Bref, l’allergie aux icônes noires avait poussé Sir Charles Arden-Clarke à affirmer que seul…le moustique devait être choisi comme symbole de l’indépendance du Ghana. Cet insecte ayant été, selon Sir Arden-Clarke, le seul facteur d’opposition significatif à l’installation des colons britanniques au Ghana, c’était donc lui le vrai Osagyefo.
Une telle ode à l’anophèle, véritable hymne à la banalisation de l’altérité, aura-t-elle été étrangère à la fièvre incivique d’un certain Ghana des premières heures ? Il est probable que les noces de coton de la jeune nation aient servi à célébrer la démoustication conceptuelle de la mentalité ambiante.

9 ans, Noces de faïence : l’année où tout s’est brisé

9 ans, c’est le temps qu’a duré le règne du guide ghanéen à la tête de l’Etat indépendant. Un temps marqué par le progrès, mais aussi par une certaine répression. A un niveau personnel N’Krumah passe pour avoir vécu anxieux, si l’on en croit le militaire anglais David Rooney qui écrit au sujet de l’Osagyefo : « il semble éprouver un grand sentiment d’insécurité intérieur (…) Et quand en avril, il part en visite en Côte-d’Ivoire, invité par Houphouët-Boigny, il n’avertit personne de ce déplacement (…) De plus pendant cette absence, il ne désigne personne pour assurer son intérim à la tête du gouvernement ».
L’année de leurs noces de faïence, la romance de N’Krumah et du Ghana s’est brisée, sous des coups de bottes.

11 ans, Noces de Corail : le virage Ayi Kwei

L’écrivain ghanéen Ayi Kwei Armah, par son œuvre The Beautyful Ones Are not Yet Born (1968), (Traduction française : « L’Age d’or n’est pas pour demain »), marque un grand moment dans les Lettres de son pays. Peignant sans complaisance la corruption rampante, l’œuvre d’Ayi Kwei met en scène un personnage, l’Homme, travailleur des chemins de fer, honnête citoyen devenu excroissance, dans un climat de prévarication généralisée. Lecture sans complaisance de l’ère post-coloniale, The Beautyful Ones Are not Yet Born, partage l’amertume de l’oracle de René Dumont « L’Afrique noire est mal partie » et reste l’apologie d’un certain ascétisme. Le livre d’Ayi Armah véhicule, par ailleurs, selon Kangni Alem l’idée qui veut que « l’expiation du mal passe nécessairement par l’humilité retrouvée ! »

50 ans, Noces d’or : l’âge d’or pour autant ?

Le Ghana c’est aujourd’hui 22 millions d’habitants et la 136ème place sur 177 pays, selon l’indice de développement de l’ONU. Un pays, que l’on dit aussi en difficulté sur la question de l’eau et de l’électricité, mais relativement stable, à présent, après deux décennies de turbulence politique. Les Etats-Unis de Bush, en 2005, ont présenté le Ghana comme un modèle de stabilité, mais le 6 novembre 2004, des militaires ghanéens avaient été arrêtés, selon les autorités, pour « tentative de coup d’Etat contre » le Président Kufor. Le Ghana est toutefois un pays où peuvent se tenir de élections, un pays où Kufor a tranquillement été élu en 2000 et réélu en 2004. Mais le Ghana a-t-il pour autant atteint l’âge d’or, rêvé par l’écrivain ?

75 ans, Noces d’albâtre :

Quel Ghana dans les 25 ans ? Le Ghana dépeint par Ayi Kwei Armah ? Celui rêvé par N’Krumah, fort et radicalement investi dans la trame de l’Afrique réunifiée ? Ces questions qui demeurent, au fond, valables pour la Côte-d’Ivoire, méritent bien d’être posées à tous les Etats africains.
Excellences Lectrices, Excellences Lecteurs, le rêve panafricaniste conserve sa pertinence et toute son opportunité. Nos républiquettes, isolées, condamnées à l’insignifiance devant les gigantismes du monde actuel, y trouveraient la nécessaire voie d’épanouissement.. Mais pour ce faire, le continent devrait repousser, loin derrière lui, les barrières de l’intolérance et de la banalisation de l’altérité !

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