lundi 30 avril 2007

Le vrai bonheur

Le vrai bonheur on ne le perd que lorsqu’on veut l’apprécier. Nous en avons fait l’expérience. Les choses ont débuté par un rêve fou : faire de la Côte-d’Ivoire une démocratie. Il était question d’obtenir des élections transparentes au pays de la technologie bien connue. Cela a coûté plus d’une dent casée, plus d’une côte brisée, plus d’un œil au beurre noir, plus d’un crâne bosselé.


Février 1992. Nangui Abrogoua. La procession ne recherchait qu’un seul bonheur : entendre dire que c’était mauvais de violer des gamines. Les matraques, eurent, pour ainsi dire, le bonheur de ne pas perdre leur temps. Claques, taloches, percussion en tous genres.


Mais comme nous n’étions pas à un rêve près, nous nous mîmes à rêver de santé et d’école, pour tous. Les matraques passèrent alors la main aux kalachs. Décompte : trois gouvernements de crabes, deux discours à la nation, une armée d’occupation. Persévérants, nous nous mîmes à rêver de Bouaké. Novembre 2004.


Parce que nous n’avions pas perdu le sens de la nostalgie, nous perdîmes, officiellement, le bonheur d’avoir une flotte aérienne. On nous avait pourtant bien prévenus. Nous n’avions pas à rêver des fruits de la liberté. Qu’importe. Nous rêvions depuis les premières heures. Et bien que la répression hier comme aujourd’hui, devait nous instiller la terreur, nous persévérâmes. On nous avait bien promis un bonheur à venir. Celui à déguster seulement perdu…

Mais l’histoire du vrai bonheur est aussi celle de l’ego mal renseigné. Pour s’imaginer être « le vrai bonheur », il fallait, s’être déjà pris, au moins une fois, pour le bonheur. Et notre société aura souffert, en grande partie, de la démesure de certaines de ses grandes orgues. Les maladies de l’ego, ne sont-elle pas le lot des grands hommes ? L’orgueil de Samory est connu, celui de Louis XIV, aussi. Mais il y a bien l’orgueil de Johnny Lafleur. Lui, a le mérite de ramener l’ego aux proportions de notre commune humanité.

Nous autres sommes d’un pays où un homme a prétendu un jour, avoir tiré les autres d’un trou. Mais à ce jeu que diraient Arthur Verdier et Treich-Laplène eux-mêmes ? Que diraient Angoulvant, Pechoux et les autres, eux qui nous auront appris à nous tenir à table et à enfiler des redingotes ? Pour saluer le vrai bonheur que nous apportèrent ses messieurs, nous n’eûmes d’autres mots que : « On nous a trop volé ! ». Evidemment, avec le courage qui nous caractérisait, nous ne pouvions choisir que la forme impersonnelle. L’imprécision, très commode, a le dos très large.


Il y eut aussi le vrai bonheur de la seconde chance. Petite pluie de rancoeurs qui promit les pires châtiments à nos colères au long cours. Quand vint l’heure des ajustements déstructurants, les cours en furie coiffèrent nos pluies lilliputiennes qui n’eurent d’autre issue que de tomber à l’oblique.


Il y eut aussi le vrai bonheur à la Tévoedjrè. L’homme vint nous sortir du trou de nos guerres fratricides. A une heure où nos dialogues étaient radicalement indirects. Une heure où nous n’avions ni le sens de la paix, ni celui de l’humour, ni de sens critique. Ecrasés par nos pulsions belliqueuses, nous ne pouvions échapper à la guerre. Mais vint Tévoedjrè, casqué d’une auréole chamarrée et ayant reçu mission divine de nous sauver. Il y mit tout son génie. Et sa sagesse. Et ses conseils aussi.


Et omment l’avons-nous remerciés ? Comment l’avons-nous célébré ? Il nous avait pourtant rappelé qu’il était notre dernière chance. En nous disant que viendrait l’heure de la fin. Temps de châtiments et d’amertume, pour nos crimes de lèse-béatitude. Lui, notre seul vrai bonheur, il fallait le croire.


Il eut aussi le prince de Morofê. Cheminot dakarois, qui promit de changer notre train de vie. Il nous tira du train-train quotidien par des discours particulièrement soporifiques et finit par finir en fumée par un matin d’avril. Lui aussi était notre vrai bonheur et nous l’avons méconnu. Choqué, par notre cécité, il parabola gravement, par un soir d’agonie politique : « les hommes sont des animaux bizarres ».


Ne comprenions-nous pas ces replis constants sur Yamoussoukro ? Ils étaient chargés de convoyer nos regards vers le paradis perdu. Mais là encore nous n’avions rien compris. Tous les signes concordaient pourtant : sang bleu, énigmes à chaque détour de phrase, éloges appuyés d’un président français, de préférence élancé. Le grand De gaulle avait salué le cerveau politique de premier ordre. Le grand Chirac vantait la sagesse du premier ministre aux ordres. La caution baptismale était donnée d’en haut, comment faisions-nous pour ne pas percevoir, la réincarnation du vrai bonheur ?

Il y eut aussi Henri Michel. Un brave type grâce auquel nous pûmes jouer notre première coupe du monde. Pour toute récompense, nous l’avons traité de suppôt du diable. Quelle ingratitude ! Henri avait eu pour contemporain Douk Saga qui sut anticiper sur notre sens de l’ingratitude. Lui savait que « les gens n’aiment pas les gens », mais que « les gens aiment l’argent des gens ». Alors ce cher Doukouré, nous conseilla, chacun à son niveau, de faire sa propre éloge, afin d’être… autosuffisant.


Le vrai bonheur était pour ce garçon radicalement mêlé à une caresse de l’ego. Il nous avait parlé de sagacité, l’autre nom de l’esprit critique. Et nous avions tout compris. Sous la gesticulation et les apparitions surfaites, il y avait une revanche à prendre. De la rancœur envers cette vie qui ne caressait pas toujours les gens dans le sens du poil.


Douk Saga, dans sa quête du vrai bonheur nous aura appris ceci : l’esprit critique on ne s’en vante que lorsqu’on l'a perdu. Faisons en sorte de ne pas le perdre. Une telle victoire sur nous- même est possible, si nous savons nous tenir à distance raisonnable de la rancœur, un sentiment qui donne aux enfants l’illusion d’avoir atteint la puberté, quand ils n’en sont qu’au stade phallique.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Douk Saga était vraiment égocentrique, ce que vous dites est vrai, mais c'était aussi un artiste de grande qualité...