jeudi 14 juin 2007

Godogoli ?


Cette histoire aurait pu être une allégorie. Discours sapiential professé à la belle étoile, sous l’un de nos légendaires arbres à palabres. Elle aurait pu aussi être une fable, historiette truculente, servie entre deux gorgées, au cours de comices pascales. Mais voici que le fait a choisi d’être authentique. Il met donc en scène des personnages réels, au sein d’une commune un peu mythique pour avoir vu naître de fabuleux artistes : Alpha Blondy, Ernst Koffi et – sous réserve d’une confirmation de Tia Koné – d’autres grandes orgues !


C’est donc à Dimbokro, nous rapporte un quotidien ivoirien, que ce 31 mai 2007 deux notables du village d’Adjoumanikro font l’amère expérience de l’angoisse métaphysique, rendue paroxystique par ce que Nietzsche aurait appelé la mort de Dieu. Aux prises avec des problèmes personnels, en ces temps d’hivernage meurtrier, les deux dignitaires entendent consulter Godogoli, la divinité tutélaire du village, soigneusement conservée par le bienheureux Nanan Konan Kouamé, chef d’Adjoumanikro.


Le culte ancestral étant ordonné selon un rituel bien précis, les notables ne se rendront pas chez le chef du village où réside pourtant Godogoli, mais se déporteront chez le « Komian », le prêtre, médiateur entre la cité des humains et la divinité. Pourtant, voici que, stupeur des stupeurs, chez les Komian, comme à la poste de Côte-d’Ivoire, le service connaît quelques perturbations, en cette fin du mois de mai.
Et ni la diplomatie, ni le charisme, ni même la taille du Komian – il s’appelle Kouadio De Gaulle – ne parviennent à empêcher l’interruption du service. C’est que Godogoli, le gardien des nuits et des jours d’Adjoumanikro se tait, s’emmure, indifférent aux invocations du prêtre.


C’est en tout cas ce que révèle l'officiant à ses deux interlocuteurs, non sans leur indiquer la cause d’un tel silence : Godogoli est absent du village et refuse, dans de telles conditions, de donner suite aux cas exposés.


Une pareille révélation a l’effet d’une bombe et c’est donc d’un pas impétueux que les deux notables rallient, pour avoir le cœur net, le domicile de Nanan Konan Kouamé, chef d’Adjoumanikro et gardien de la divinité. Passé les salamalecs et autres amabilités fadasses, les notables demandent à voir Godogoli, mais le bienheureux Konan Kouamé, transpirant à grosses rives, marmonne, dans un baoulé sans conviction, quelques arguments de paille, avant de se mettre à table.


Oui, il a bien vendu Godogoli, Godogoli la divinité tutélaire d’Adjoumanikro. Oui il a cédé Godogoli pour quatre millions. Oui, quatre, mais « Yatchi », pour l’instant l’acquéreur ne lui aurait versé que la minable somme de 300. 000 Fr.…
Fureur et consternation à Adjoumanikro, Kouamé Konan est vite destitué ! Un bœuf, deux moutons, deux poulets, quatre casiers de vin et 40 litres de vin de palme, tel est le sacrifice qui, répandu, purifiera Adjoumanikro du délit de bradage de divinité !
Happy end, en somme, si l’on en juge à ce qu’aurait pu subir, sous d’autres cieux, l’auteur d’un tel sacrilège.

Mais au fond, cette affaire ne (re)pose-t-telle pas le problème du rapport de l’Afrique à l’héritage? Notre continent semble si particulièrement attaché aux legs. Il n’y a qu’à voir le nombre des réunions consacrées aux questions d’héritage, tout comme celui des étoiles pulvérisées de s’être trop approchées de patrimoines antiques, pour comprendre l’intérêt accordé à la chose.


Le drame, cependant, semble résider dans la valeur affectée aux objets légués. Le frère dont le regard impudique furète le domicile d’un aîné, voire même d’un cadet, en mauvaise posture médicale, ne recherche rien d’autres que des meubles, de la vaisselle, des fringues. Tout ceci n’a, pour lui, d’autre valeur que matérielle... Il peut donc liquider, à tour de bras, meubles, sandales, terres, vaisselles, sans l’ombre d’un regret. Les problèmes fonciers rencontrés ces dernières années ne sont-ils pas l'« héritage » d’une certaine inconscience patrimoniale ?


Notre Etat, nos institutions, notre constitution, nos armoiries et nos valeurs, taillées aux forges d’un passé collectif peuvent-ils être bradés ? N’avons-nous pas le devoir d’en assurer la pérennité, l’entretien ou l’éventuel émondage, dans le pur respect du passé, comme le fils coiffant, respectueux, le père octogénaire, respecterait même les touffes au sol, bien qu’elles fussent promises à être jetées ?
Mais si l’héritage peut-être politique, il peut aussi être culturel ou religieux.


C’est au regard de telles réalités qu’il nous est difficile d’apprécier l’exhibition pornographique à la quelle s’adonne depuis quelques temps un certain Armand Béhanzin. Il nous a semblé que les religions, et particulièrement le christianisme avaient développé une éthique, une déontologie de la gestion des différends. Les nouveaux convertis devraient s’imprégner des trésors d’une telle axiologie, au lieu de transposer dans le champs de la chrétienté, les méthodes cavalières et rugueuses importées de charivaris fétichistes. Il n’y a aucun respect de la vieille institution ecclésiale dans le strip à Béhanzin.


Que visaient Béhanzin et ses proxénètes par cette « dénonciation » ? La gloire du Christ ? L’avancement de l’Eglise ? L’objectif est-il à présent atteint ? Une chose est sure : un autre opprobre vient d’être jeté sur l’institution ecclésiale, héritage d’une longue tradition missionnaire pour laquelle des générations d’hommes et de femmes engagés auront sacrifié vie et carrière. Même si l’on ne partageait pas leur engagement, il était important de le révérer.


Excellences Lectrices, Excellences Lecteurs, à l’heure où Godogoli a été vendu à des inconnus, méditons ensemble sur l’héritage que nous laissent les suppliciés de novembre 2004. Saurons-nous fouler aux pieds leur sacrifice sans être coupables envers leur mémoire ? Quelle que soit la teneur des négociations, il nous faudrait avoir à l’esprit la valeur de leur sacrifice.

2 commentaires:

St-Ralph a dit…

Merci pour ton article qui nous interroge sur l'importance que nous accordons aux éléments culturels de nos pays. Je n'ai pas oublié la disparition à Bonoua, alors que j'étais enfant, d'une statue que l'on dressait périodiquement sur la place publique sur son mât. La disparition de cette immense statue a nourri en moi l'horreur des musées européens exposant des objets africains. Ce pillage de l'Afrique avec la complicité de quelques individus motivés par le gain est tout à fait impardonnable. Il serait bon que les autorités des pays africains parlent publiquement de ces pertes inestimables afin que les africains comprennent que c'est une façon de se dépouiller pour enrichir l'Europe et lui donner l'occasion de nous mépriser davantage. Devant eux, nous semblons des enfants qui ne connaissent pas la valeur des choses et qui les bradent pour quelques pièces.

Anonyme a dit…

Eh Oui, cher st-ralph, telle est la triste réalité. Le plus grave, c'est que ce fait n'a ému personne. Il a été traité comme un fait divers. Juste une colonne dans un journal. Il y a pourtant un Ministère de la Culture dans ce pays et une Direction Générale des Cultes au Ministère de l'Intérieur en Côte-d'Ivoire. Si dans mon article j'avais évoqué ces questions on m'aurait pris pour un ennemi de la paix fragile que nous couvons tous, de nos petites concessions, chères payées.
Le jugement rendu par le tribunal coutumier est lui-même assez léger. Et c'est pourquoi, la seule alternative qui nous reste, c'est l'éducation à une "conscience patrimoniale" commme je l'appelle, c'est le premier moment de la conscience citoyenne et du respect de la chose publique !