Un heureux hasard a permis que je me retrouve à Korhogo, en début de semaine et que j’assiste, de la façon la plus imprévue du monde, à la cérémonie d’installation officielle du Préfet de la Cité du Poro. Ce qui aurait été une passation de charge classique, en d’autres temps, a revêtu ici les aspects de la festivité, malgré l’estampille de sobriété qu’ont voulu faire porter à l’événement ses organisateurs. L’impact des roquettes de Bouaké est encore vivace dans les esprits et personne apparemment ne voulait donner le sentiment de narguer, par des avancées stupéfiantes, certains regards rendus ombrageux. Sous le voile de sa sobriété l’événement n’en fut pas moins fort de symboles.
Le premier de ceux-ci est venu, m’a-t-il semblé, de la « concomitance » entre l’installation de l’Administrateur et le paiement des primes aux fonctionnaires et agents de l’Etat en poste à Korhogo. Renseignement pris, le Ministère de l’Intérieur et le Comité en charge du redéploiement de l’Administration ne s’étaient pas passés le mot. Le hasard qui fait quelquefois bien les choses a sans doute voulu signifier que l’autorité de l’Etat rime avec la prospérité du citoyen. En tout cas, Rousseau, le théoricien du Contrat social, de passage dans la cité du Poro aurait été émerveillé par l’heureuse simultanéité entre le retour du préfet et le paiement de primes aux citoyens obéissants à l’ordre républicain.
Autre symbole, le statut même de la salle ayant abrité la cérémonie d’installation : le « Centre d’actions culturelles Womiengnon ». Il existe bien encore à Korhogo le bâtiment de ce qu’a été la préfecture. L’espace appelé jadis la « Préfecture » sert désormais de bureau au bienheureux Martin Fofié, tout puissant et un tantinet sympathique Commandant de la « Zone 10 ». Les plus gourmands pensent que la cérémonie de restauration de l’autorité de l’Etat aurait pu se tenir à la Préfecture – devenue depuis Etat-major des Forces Nouvelles – mais l’histoire aura voulu que le retour du Préfet se fasse sous le sceau de la Culture. C’est donc à la « Salle d’actions culturelles » que le nouveau préfet a été installé et présenté à ses administrés.
Ne dit-on pas que la Culture est ce qui reste quand tout a disparu ? Il est bon que la relation des citoyens à l’Administration se fasse sous les auspices du savoir. L’histoire korhogolaise a voulu que culture et administration coïncident désormais. Puisse la leçon faire école, pour enseigner à chacun de nous que la culture – autre nom de l’éducation – est le lieu de notre renaissance. Si la violence et la barbarie nous ont éloignés de l’«Espérance promise à l’humanité », la culture nous permettra certainement « de forger /dans la foi nouvelle/ la Patrie de la vraie Fraternité ».
Et mardi dernier, dans la cité du Poro, le « Centre d’actions culturelles Womiengnon » n’a pas failli à sa vocation puisqu’il a réhabilité un pan fort de notre culture nationale : l’Alliance à plaisanterie. Le Préfet installé mardi soir s’est vu accueilli comme un allié. Quelqu’un, au micro, a dit de l’illustre préfet qu’il est un « esclave ». Ceux qui connaissent l’architectonique de la sociologie ivoirienne n’en ont pas été émus. Comment le préfet, symbole de l’autorité de l’Etat peut–il être traité d’esclave ? Me suis-je indigné. A ma grande surprise de « Gahou d’Abidjan », j’ai découvert, ne comprenant décidement plus rien à l'énigme, un sourire radieux sur les lèvres du Préfet.
Un responsable des Forces Nouvelles, qui se trouvait être un Sénoufo de dire « c’est un Yacouba, le nouveau préfet est Yacouba ! », la salle a alors acclamé à tout rompre le nouvel administrateur qui connaissait bien, lui, la portée et le sens de l’alliance séculaire. Dans la communion entre le préfet et ses administrés j’ai cru lire que l’Alliance a pour rôle de désamorcer, depuis la nuit des temps, la raideur des relations humaines. Celui qui plaisante ne blesse plus, il ne fait que titiller. Or qui est titillé est admis, de fait, dans le cercle des amis. L’alliance à plaisanterie instaure ainsi une aire totémique où l’affrontement est interdit.
Mais question cependant : le Sénoufo devra-t-il nécessairement attendre un préfet Yacouba pour être comblé ? L’Abbey ou l’Attié devra-t-il réclamer à tue-tête un Dida, pour bien vivre l’autorité de l’Etat ? Certainement pas. Si l’alliance séculaire a l’avantage d’éclairer nos visages à la lampe de notre histoire, rien ne nous empêche d’élargir la base de notre convergence. Aujourd’hui, me semble-t-il, l’allié, c’est tout fils d’Eburnie, d’où qu’il vienne.
Un autre symbole nous est aussi venu de l’administrateur fraichement installé. Son langage nous a semblé être celui de l’humilité. Devant ses administrés, l’homme a affirmé être venu en frère soucieux d’apporter l’appui de l’Etat à d’autres frères. « Je ne viens pas avec le bâton de commandement, ni avec une épée quelconque de Thémis », a dit l’Administrateur. Sur ce même mode, l’inspecteur général de l’Administration du Territoire, grand officiant de la messe de réinstallation, avait déjà livré ce qui aurait pu se nommer la métaphore « des dents et des griffes ».
Chaque préfet, a dit l’homme, est comme un lion. Mais ce qui fait la force dudit félin ce sont ses dents et ses griffes, a-t-il poursuivi. A la population rassemblée au Centre d’Actions Culturelles, l’inspecteur Général a dit qu’elle représentait les griffes et les dents d’un tel lion. Ce qui ne fut pas fait pour déplaire à l’assistance.
Et puis vint finalement, l’allégorie du ventilateur. Le Secrétaire Exécutif du Comité National de redéploiement qui était là dans la cité du Poro pour verser des primes d’installation et d’incitation aux fonctionnaires redéployés dans la zone a donné de la voix quand vint son tour de parole. L’on est passé de l’allégorie du félin à celle – rafraichissante - de la ventilation. Pour lui, l’argent est un ventilateur. «Quand il cesse de tourner, tout le monde a chaud». C’est pourquoi, nous devons faire en sorte de ne pas nous exposer aux coups de chaleur rageurs en donnant la parole aux bruit des bottes, a-t-il exhorté...
Dehors, la chaleur cédait déjà le pas à une douce brise vespérale. Le préfet de Korhogo était installé depuis quelques heures et les fonctionnaires en poste dans la cité du Poro recevaient leurs primes d’encouragement.
J’avais assisté, ce même jour, à deux cérémonies à Korhogo, sans apercevoir à aucune d’entre elles, Martin Fofié, Com Zone de Korhogo, pourtant présent dans la ville. De quoi était-ce le symbole ? La volonté de donner à l’accord de «wahadougou» (tel en est la prononciation à Korhogo, ai-je remarqué, ) tout son sens de normalisation de la Côte d’Ivoire ? Eclipse de l’ordre ancien au profit du renouveau ?
Me reviennent des paroles de notre hymne national : « Salut ô terre d’Espérance ». Je me prends à espérer aux pieds du mont Korhogo.
3 commentaires:
Eh ben, entre les arrêts sur images et les symboles il n'y a qu'un seul regard.
Que dirions-nous du Boloï, masque à quatre yeux. Symbole certainement de méfiance. Car celui qui marche tout droit doit certainement avoir des yeux en arrière. On ne sait jamais d'où la roquette peut venir. Et ce n'est pas Soro qui ignorera cette leçon.
"Apkaman!"
Eh bien mais l'alliance est notre force ! Viva Cote D'Ivoire
Hasard! tu dis Edgar, je te dirai tout simplement providence. Les grands témoins de l'histoire sont en réalité portés par leur destin que les circonstances transforment en destinée.
Contribuons donc à tous les niveaux par notre savoir faire et notre savoir être à écrire les plus belles pages de l'histoire de notre beau pays la Côte d'Ivoire.
'' Chers Ivoiriens, le pays nous appelle ''.
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