L'essayiste Séry Bailly revient sur l'affaire Guy Môquet, en débusquant, avec clarté, l'indignation à double vitesse de la France officielle.
"Nul ne peut demander aux fils de se repentir des fautes de leurs pères " disait en juillet Sarkozy. A la lumière de ce théorème, personne, aujourd'hui, n'a à se repentir de la mort de Guy Môquet. Franchement, si ce n'est pas de la...moquerie.
L'essayiste Séry Bailly, nous apporte ici sa part d'éclairage : soyons attentifs.
Guy Môquet est un jeune Français qui a été fusillé le 22 octobre 1941 par les forces allemandes d’occupation. Avant de mourir, il a laissé une lettre à ses parents. Le Président Sarkozy a demandé qu’elle soit lue dans toutes les écoles de France et de Navarre le 22 octobre 2007.
L’événement historique a même donné lieu à un court métrage intitulé «La lettre». L’histoire est un genre surprenant. Par-delà les années, les événements se télescopent. Ce qu’on célèbre là-bas, a un écho ici et vise versa. La vie et la mort de ce jeune résistant français sont émouvantes. Son courage devant la mort, son affection pour sa famille, son appel aux siens, tout cela ne laisse personne indifférent.L’instruction présidentielle a ouvert un débat dans la société française, surtout parmi les enseignants.
L’histoire doit-elle être convoquée par l’Etat ou sont-ce les citoyens qui doivent se l’approprier à volonté ? Et la liberté pédagogique ? Le chef des éducateurs n’est-il pas éducateur en chef ? Et l’éducation citoyenne alors dans tout cet imbroglio ? Il n’est pas facile de préconiser la rupture et de la mettre en œuvre, dans une logique de continuité ! Guy Môquet vient-il se substituer à Jeanne d’Arc ? La France est-elle en panne d’héroïsme et à la recherche de héros ? S’agit-il de couper l’herbe sous les pieds du vieux Le Pen ?
Il est plus commode pour un jeune président de s’identifier à un homme jeune qu’à une jeune femme ! Certains disent que célébrer le jeune résistant, c’est justifier tous ces jeunes banlieusards qui ont mis des villes à feu et à casse. Toutes les luttes sont respectables, mais pas tous les moyens ! Lui avait un projet pour lequel il se battait, eux ont une rage a exprimer. Là un monde à défendre, ici un autre à détruire, même si c’est pour le reconstruire!
La chaîne TV 5 est-elle fière de faire passer le film consacré à ce jeune héros? Certainement ! Peut-elle reconnaître aux autres jeunes du monde entier, ce droit d’agir héroïquement ? Ceux qui disent que Guy Môquet est une «très belle figure de la France», avaient-ils le droit de défigurer les héros des autres ? Les nôtres étaient des désoeuvrés manipulés, des patriotes de Gbagbo acquis à coups de millions de cfa.
Lui, il ne peut être déclaré patriote de Sarkozy. Ce dernier n’était pas encore né. Lui, il demeure un résistant qui savait à quoi il résistait et était sûr des valeurs qu’il défendait. Que le jeune Guy Môquet soit un militant communiste est aussi un coup que nous recevons en pleine gueule ! Voici qu’on célèbre un jeune rouge. Voilà qu’on ne peut tolérer des dirigeants d’un rose parfois si pâle !
Eux ils ont droit à toutes les couleurs pour constituer leur bouquet national. Nous devons nous contenter de celles de la soumission qui sont toujours brunes ou noires et parfois vertes ! Il avait dix sept ans et demi. Moi je me souviens de ce jeune, qui a été blessé pendant les événements de novembre 2004. Il avait treize ans lui. Il n’est pas mort. Mais qui n’a pas dans les oreilles l’écho de ses paroles ?
«Je n’ai rien dit à ma mère sinon elle m’aurait empêché de défendre mon pays !» Qui se souvient du nom de notre petit héros ? Tel est le drame de la mémoire. Elle peut s’éroder même en se figeant dans la pierre des monuments. Il a eu plus de chance que l’autre dont la tête a explosé dans cette histoire sans queue ni tête ! Guy Môquet a su faire face à ses bourreaux, les regarder droit dans les yeux, avant de s’écrouler. Il est tombé complet sur le sol de France. L’autre a été décapité.
Il n’a pas su qui a tiré. Il n’a pas su pourquoi il a tiré sur eux pour l’atteindre lui. Pour la France officielle, ces jeunes n’avaient pas le droit de défendre leur patrie. Ils étaient manipulés. Ils avaient été conditionnés par les chefs patriotes, ces champions de la haine ! Pourtant, chanter la geste de Guy Môquet, ce n’est pas manifester de la haine envers les Allemands. Ce n’est pas retourner le couteau dans la plaie de l’histoire, ni entretenir ou susciter un sentiment anti-allemand.
Prétendre avoir ses héros est une faute grave. C’est un péché d’orgueil car on prétendrait avoir une histoire à faire. Avoir une histoire, c’est avoir une volonté qui se déploie dans le temps. Vouloir avoir des héros, c’est donc vouloir faire son histoire. Or la dépendance, ce n’est rien d’autre que d’être arrimé à l’histoire d’un autre peuple. Le philosophe Hegel l’a déjà dit clairement et ses frères européens l’ont compris tout aussi clairement !
Nous n’avons pas d’histoire car c’est celle des autres qui est venue se dérouler sous nos fenêtres et sur nos plages ! De tous les péchés, il me semble que l’orgueil est le plus sévèrement sanctionné ! Oui, vouloir faire son histoire, ressemble à une imitation de Dieu. C’est vouloir rivaliser avec lui pour être des «créeurs», selon l’expression du chanteur humoriste !Guy Môquet est un modèle que nous revendiquons pour nous aussi.
Dans sa lettre, nous ne voyons aucune rancœur contre ses bourreaux. Il sait seulement qu’il va mourir et il n’en a pas particulièrement peur. Il est prêt dans sa tête. Il sait pourquoi, il sait pour quoi, il sait pour qui il va mourir ! Reconnaître les héros des autres, c’est se donner le droit d’en avoir soi-même ! Tous les bavards qui ont parlé d’une histoire tournée vers l’avenir, ont glosé en fonction de leurs intérêts du moment. Ils auraient tant voulu que les nôtres coïncident avec les leurs !
Certains ont la possibilité d’instrumentaliser le passé en leur faveur et nous n’aurions pas le droit de vivre notre présent, en fonction du futur dont nous rêvons ! Nous aurions demandé qu’on lise dans nos écoles, la lettre de Lumumba à son épouse et à ses enfants, on nous aurait traités de tous les noms. Mais si nous ne l’avons pas fait, ce n’est pas la faute à Sarko.
Guy Môquet était à l’Ivoire ! Des Ivoiriens ont pensé tout bas, «Tant pis pour lui». Il réssuscite en France, des Français protestent dans les allées des lycées pour ne pas emprunter celles de l’histoire d’Etat. Guy Môquet sera sur la liste noire de l’ONU, condamné par la même France qui le loue !
Séry Bailly
(*) le titre est de nous
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