lundi 23 avril 2007

Dadié, Dostoievski et Dieu

Bernard Dadié est orfèvre des lettres, Maître des planches, seigneur du vers, astre de la connaissance, parangon de la Côte-d’Ivoire littéraire. Pour de nombreuses générations d’Africains, son nom trônera toujours aux côtés de ceux de Césaire, Damas, Senghor, Hugo. Dans l’ordre normal, un tel homme est, à tout le moins, un mythe. Et ce mythe nous est apparu sur des bancs d’école, dans toute la simplicité de sa grandeur, à la fois comme objet d'études et sujet de notre histoire nationale.

Enfants de l’école ivoirienne, nous ne pouvions pas ne pas vénérer l’homme par qui la Côte-d’Ivoire littéraire s’est mise debout pour la première fois ! Ce Louverture de nos lettres ! Cette pierre inaugurale de nos pages ! Cette touche angulaire de notre édifice cognitif ! Qu’un kangourou d’Australie ou un sapajou d’Amazonie se soit alors mépris sur les ressorts de notre vénération, n’eut en rien offensé notre culte. Les voix dans le vent, Les jambes du fils de Dieu, Hommes de tous les continents, Le pagne noir, Iles de tempête… ne charmeront jamais, on le sait, l’œil – droit ou gauche – d’un sapajou, d’un macaque ou d’un ouistiti affairé à ses tapageuses culbutes.


Personne ne serait jamais allé demander à un pongo ou à un gibbon de s’émouvoir de l’écriture théâtrale de Dadié. Il en est peut-être ainsi, parce que finalement, seul l’homme, comme le pense Twain, reste un animal religieux, le sens de la vénération, le respect du sacré, demeurant sans doute la marque la plus décisive de sa rupture avec le règne animal.

En le croyant, nous avions pensé qu’une société s’édifiait sur le respect de valeurs. Nous avions cru que l’institution académique et ses acteurs portaient la responsabilité de la transmission des conventions nécessaires à la survie et à l’épanouissement du groupe. Pour nous, l’école laïque, née des Lumières occidentales, en destituant le Dieu chrétien, n’évacuait ni la croyance, ni le respect des absolus, ni même la dévotion.


Il n’y avait eu, avions-nous pensé, qu’une redistribution des cartes, une recomposition du paysage ontologique, prêtant simplement aux objets et sujets de connaissance la place des absolus démis. Dans ce culte réformé, l’enseignant, avions-nous pensé, méritait respect, tout comme ne pouvaient être que vénérés ceux dont la pertinence et la trajectoire intellectuelle constituaient déjà en soi des objets de connaissance. C’est pourquoi, les armoiries vivantes de nos lettres, les étendards majestueux de nos arts les bannières étincelantes de nos sciences nous avaient tout simplement paru des métaphores de l’absolu.

Dans le culte français à Hugo, dans la déférence sénégalaise à Senghor, dans la louange haïtienne à Price-Mars, dans la vénération allemande à Goethe, dans le panégyrique russe à Dostoïevski, dans l’hommage malgache à Rabéarivélo, il y avait, nous avait-il semblé, l’hommage nécessaire des nations aux arts, aux lettres et aux sciences ; pour tout dire, l’hommage au savoir tout court, lequel nous a toujours semblé la base des sociétés assoiffées de progrès et d’épanouissement certain !


Pour nous donc, une destitution de Dadié en Côte-d’Ivoire, une liquidation de Senghor au Sénégal, une évacuation de Hugo en France… ne pouvaient être qu’assassinats symboliques de l’absolu et de fait marques d’une chute dégressive. Nous pensons avec Dostoïevski, aujourd’hui plus que jamais, que Dieu mort, tout est permis, même l’anthropophagie, Dieu mort, s’ouvre l’enfer géosynclinal, pandémonium moral aux quatre coins de la cité scarifiée.


Il fallait que Dieu soit mort pour que Fofié fût donné pour Patriote, que Dieu soit mort pour que le patriotisme ne pût être quantifié à l’aune de l’allégeance à la terre originaire, que Dieu soit mort, pour que Marcellin Yacé fût résumé en un régime, que Dieu soit mort pour qu’une giboulée, absconse et inepte, se fût risquée à tutoyer la brillance des étoiles.


Temps des ténias, parasitant l’aura du vénérable Maître Dinard. Bottey par ci, Dinard par là. Et que ne sont ils laquais de Charles Baudelaire, que dis-je, valets de Charlot, premier gahou, pris pour échelle vers les lambris crasseux du crime cosmétisé !
Or, voici que Dieu n’est pas mort. Voici qu’il ne meurt pas. Voici qu’il apparaît dans toute la gravité de la parole hyaline, couronné de ces lauriers de corail, si bellement chantés par Bohui Dali dans le Kostas Georgiu. Or, voici qu’il nous vient, tel Zékia, corps ardent de braise, au milieu de la vaine fusillade parricide. Sa voix est plus dure que jamais. Sans marteau, il martèle les siècles des compromissions serpentaires !


Excellences Lectrices, Excellences Lecteurs, cette vérité-ci est inscrite dans les paumes, les cils, les pores et même les duvets du destin : personne n’effacera jamais des cœurs, la brillance du nom de Bernard Binlin Dadié.
On n’efface pas des lettres d’or à la gomme d’un crachat !

1 commentaire:

Attila a dit…

Texte lumineux. Belle défense et illustration du sens de soi. N'en dépliase à Tiburce Koffi...