Alors que nous en étions à nous remémorer l’ « appel du 18 juin », ce grand moment de notre histoire collective – français de souche ou descendants de colonisés – nous avons reçu la visite de deux juges français. Ces juges voulaient entendre certains de nos concitoyens sur les journées chaudes qui ont vu le départ de nombreux immigrés français en 2004. Finalement, personne, en ce mois de juin, n’a été entendu. L’opinion ivoirienne s’est donc « affairée » à commenter la répartition des 100 milliards des déchets toxiques, quand elle voulait bien lâcher, par interstice, la rocambolesque histoire du nommé Atayi Codja, alias Armand Guédégbé ou encore Armand Béhanzin.
Le plus cocasse c’est qu’en fin de compte, l’affaire Guédégbé partage avec l’histoire des résistants français, une date : le 21 juin. Cette date-là a vu l’arrestation, à Grand-Bassam, de l’ancien prêtre Vodou. 64 ans plus tôt, jour pour jour, était arrêté à Caluire-et-Cuire, dans la banlieue de Lyon, Jean Moulin, patron de la Résistance française.
Il est clair que les deux histoires n’ont ni la même portée, ni le même intérêt. Nous ne choisirons donc de nous étendre que sur la plus importante, à nos yeux. Celle-ci débute, comme il se doit, en juin. A l’appel d’un homme, le Général De gaulle. Son pays, en proie à une guerre sans précédent, essuie la raclée d’acier d’adversaires farouches : c’est la capitulation, ce 17 juin 1940. De gaulle qui n’entend pas les choses de cette façon, se retire à Londres d’où il lance son fameux appel à la résistance française. L’homme reconnait dans son adresse, la supériorité « mécanique » de l’ennemi, mais estime, en revanche, que la France ne doit, en aucun cas, baisser les bras devant l’adversité. Quatre années plus tard, la France obtient gain de cause et c’est la Libération.
Depuis, De gaulle est universellement reconnu comme le symbole de la résistance française. Mais son long séjour en Angleterre a pu être interprété, par plus d’un, comme un acte de capitulation. De nombreuses figures de la résistance étaient restées dans la France violée et immolée des années nazies, vivant au quotidien les affres de la domination allemande avec leurs concitoyens. Jean Moulin, premier Président du Conseil National de la Résistance fut l’un de ceux qui payèrent au prix fort, l’engagement frontal avec l’ogre Nazi. Il choisit de rester en France pour y mener le combat. C’est là qu’il tombera, les armes à la main, encorné par les fourches hitlériennes, à 44 ans. Son œuvre aura-t-elle, pour autant, été plus immense ou plus décisive que celle de De gaulle, cet autre résistant qui vécut octogénaire pour avoir su trouver le chemin de l’Angleterre ? La quête mécanique de martyrs est-elle productive pour nos espérances ? Il n’est pas certain que Moulin ait été meilleur résistant que De gaulle.
D’ailleurs, depuis la Libération, ce n’est ni la naissance de Jean Moulin, ni son arrestation le 21 juin, ni sa mort survenue par immolation, le 8 juillet que célèbre la France reconnaissante. C’est l’appel du 18 juin, la simple annonce radiodiffusée, d’un réfugié – replié, certes, mais lucide dans son parcours politique et son positionnement stratégique – qui sert de lieu de souvenir à la France réhabilitée. La mort au combat, aussi valorisante qu’elle soit, n’a jamais été la marque la plus évidente de l’espérance. Combien d’Africains sommes-nous à connaitre Jean Moulin, le président du Conseil de la Résistance ? Combien sommes-nous à savoir que ce français a été arrêté le 17 juin 1940 pour avoir refusé de signer, sous la pression des Nazi, un texte accusant de méfaits les troupes africaines de la France ?
De gaulle a survécu. C’est à lui que reviennent les honneurs. Jusqu’à ce jour, c’est à lui que la France libre affirme devoir sa grande aventure de liberté. Il n’a jamais été martyr.
On peut chercher à savoir pourquoi le débarquement de Normandie, épilogue de la lutte héroïque des résistants français n’a eu lieu seulement qu’en 1944. Qu’attendaient De gaulle et autres grandes figures de la résistance pour libérer leur pays du joug de l’Allemagne Nazie ? Pourquoi c’est seulement en 1944, soit 4 ans après l’installation nazie que sont arrivés ces parachutistes des berges de Normandie ?
C’est certainement parce que les conditions historiques, la conjoncture politique internationale et endogène n’étaient pas favorables avant cette date. L’action, qu’elle soit de résistance ou révolutionnaire, ne saurait s’improviser, au risque d’être improductive. Elle s’inscrit dans un ordre d’intelligibilité nécessairement inaccessible aux approches émotionnelles de l’histoire. Novembre 2004 offrait, nous dit-on, l’occasion d’en finir avec la France. Trêve de mystification : chaque jour qui passe nous offre un rendez-vous avec l’histoire. Le premier fou qui irait jeter une grenade au dessus de la clôture d’une certaine ambassade aurait pris un rendez-vous avec l’histoire. Je suis seulement curieux de voir la productivité d’un tel acte.
Par ailleurs, la pire injure que l’on puisse faire aux disparus de novembre 2004 serait d’instrumentaliser leur mémoire. Personne n’a le doit d’utiliser comme combustible, le sang de l’esplanade de l’hôtel Ivoire. Comment alors ne pas être de ceux qui comme Théophile Kouamouo parlent de l’épisode de novembre 2004 et plus généralement de la mort des autres, avec beaucoup de lyrisme.
Peut-être devrais-je, un jour, m’ excuser de m’ être couché sur l’asphalte embrasé, ce 9 novembre 2004, alors que sifflaient les balles françaises dans l’air surchauffé. A ceux qui purent accueillir ces balles debout, je concède, volontiers, le droit de dire avec le fondateur du RDR « Ne nous attardons pas sur les morts ».
Excellences Lectrices, Excellences Lecteurs, De gaulle – même au plus fort de la crise d’hystérie la plus éculée – n’aurait jamais osé se prendre ni pour un immortel, ni pour l’unité de mesure de l’audace. Son exil témoignera, du reste, de notre commune humanité faite quelquefois de doutes, de replis et de stations.
Nous le savons désormais tous : il y a eu l’histoire du repli sur Londres, mais aussi celle du retour d’Italie. En 2002, il y avait encore de la place à Londres ou à Rome. Mais un homme est rentré sous ces cieux en furie, qui n’avait pour lui que la foi en une Côte-d’Ivoire meilleure. Dieu me garde de la mégalomanie de lui faire jamais injure ! Le gaulliste Chirac eut la bonne idée de lui proposer la bonne vieille recette familiale. Nous sommes tous témoins du choix qui fut le sien.
Le chantage a son efficacité. En revanche, sommes-nous obligés d’investir dans la sphère collective l’amertume mal commandée de nos considérations de rente ? Personnellement je refuse d’être l’un des destinataires de cette interrogation indignée de Bob Marley « How long shall they kill our prophets » ? Il est évident que nos petites mesquineries ne sont pas des foudres. Mais ne feraient-elles pas de nous, pour autant, les dindons d’une certaine farce ?
2 commentaires:
MERCI pour cette autre vision de l'histoire que vous soumettez à notre réflexion.Je voulais rebondir sur l'épisode de Rome mais vous m'avez privé de ce commentaire car la conclusion des "histoires de juin" aborde avec brio cet autre anecdote de résistance.
Mon cher, ce texte m'a valu quelques commentaires malveillants. On m'a accusé, en certains milieux, de faire l'apologie de la "capitulation", comme si la lutte n'impliquait pas quelque fois replis, station...
Pour moi le retour de Rome est un moment capital de notre histoire ! C'est l'expression d'un courage et d'un sens des responsabilité qu'on ne peut fouler aux pieds.
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