jeudi 9 août 2007

Etes vous Librafricains ?

A l’heure où la Côte-d’Ivoire fête le 47ème anniversaire de son accession à l’indépendance, un dialogue indirect s’est engagé entre les présidents Sarkozy et Koulibaly. Deux personnalités de la même génération, le premier ayant à peine deux ans de plus que le second. L’échange porte sur le devenir de l’Afrique. Le nouvel élu français dit militer pour un projet baptisé l’Eurafrique. Le second, lui, en appelle, plutôt, à la Librafrique. C’est au Sénégal d’Abdoulaye Wade que Sarkozy a choisi de présenter sa vision. Il disait s’adresser à toute la jeunesse africaine : le président de l’Assemblée nationale de Côte-d’Ivoire, qui n’est pas nécessairement vieux, lui donne la repartie.

Le concepteur de « l’immigration choisie » avait choisi, voici une dizaine de jours, de dire aux jeunes africains, « Je sais l'envie de partir qu'éprouvent un si grand nombre d'entre vous confrontés aux difficultés de l'Afrique. Je sais la tentation de l'exil qui pousse tant de jeunes Africains à aller chercher ailleurs ce qu'ils ne trouvent pas ici pour faire vivre leur famille ». D’Abidjan, la réponse a été sans circonvolution : « De nombreux immigrés apportent à la France leur travail, leur talent, leur argent. Nombreux aussi sont ceux qui fuient les dictateurs et les autres régimes liberticides que vous installez chez nous ». Passé cet échange de bon-procédés, lumière sur les deux visions.

Son Eurafrique, Sarkozy la présente, volontiers, comme « le plus grand rêve de paix et de prospérité qu'Européens et Africains sont capables de concevoir ensemble ». Sans être un machin, l’Eurafrique aurait, nous dit Sarkozy, « un pivot ». La pièce maitresse ainsi présentée procède, comme en physique ondulatoire, d’un espace de propagation initial : l’« Union Méditerranéenne », déjà proposée à tous les pays riverains de la Méditerranée par la France.


A ce stade de la plongée, au moins deux questions viennent à l’esprit : pourquoi le rêve Eurafricain s’enferme-t-il entre deux continents en s’amputant volontairement les chances spatiales inouïes que lui autorise son statut onirique ? Si l’onde se propage par cercles concentriques, les pays subsahariens ne sont-ils pas condamnés à vivre à la périphérie du mouvement, une satellisation de fait ?


A la mise en ghetto élargi, le Président Koulibaly préfère le vaste champ de la liberté. Il parle d’Afrique, non pour célébrer l’autisme et le nombrilisme, mais pour invoquer la liberté. La parole du Librafricain est claire « Nous ne voulons pas de votre liberté en double standard, et sous surveillance ». Les mots par lesquels se définit la Librafrique elle-même ont la saveur immaculée d’un credo. Et le Président Koulibaly en déclenche ici le jet vivifiant : « Nous voulons redevenir libres. Il ne s'agit pas d'un retour à un quelconque âge d'or. Il ne s'agit pas d'une option pour nous, mais de notre survie. Il s'agit d'être simplement des humains, de vivre comme tels et d'être traités comme tels. Nous ne voulons pas de traitement de faveur. Nous voulons avoir notre liberté de choix. Nous voulons tirer profit des droits imprescriptibles que nous avons d'être propriétaires de nous-mêmes en tant qu'humains. Nous voulons être libres dans la mondialisation, comme nous ne l'avons jamais été sur les marchés des esclaves. Sur les marchés coloniaux. Dans le pacte colonial. Nous ne voulons pas aller sur les marchés mondiaux enchaînés par des accords protectionnistes ; ni avec la France, ni avec l'Europe. (…) Au lieu de l'Eurafrique, nous voulons la Librafrique ».


En les observant sereinement l’on réalise que l’Eurafrique est en fait un anachronisme rebaptisé. Car c’est bien par « Eurafrique » qu’a été organisée la traite négrière. Une certaine élite Européenne et ses compères africains - vassalisés - ont mis en œuvre ce crime contre l’humanité avant qu’il ne se communie en colonisation. La même Eurafrique a ensuite innervé le parti-unique, par la mise sur pied de réseaux sanguinaires, sanctuarisés par des chancelleries complices. C’est bien par « Eurafrique » qu’une certaine pègre politique est entretenue à la tête de pays africains par des appuis occidentaux univoques. L’Eurafrique tel qu’elle a vécu jusqu’à ce jour, n’aurait jamais dû exister. Elle a pourtant eu cours et appartient donc désormais à une histoire commune que nous ne saurions renier. Mais comme le dit un Niamkey Koffi des grands jours, « Il y a pathologie quand l’étape s’érige en terminus ». Ainsi, aussi vrai qu’est passée l’ère des rigolos, a vécu le temps de l’Eurafrique.

Mais la Librafique qu’est-ce pour nous aujourd’hui ? Au plan psychologique, c’est une conscience identitaire décomplexée et n’attendant, comme tel, ni reconnaissance, ni approbation de quelque instance exogène. Au plan du développement, une prise en main très claire des politiques d’éducation, afin que soit éradiquée la chape d’ignorance dont la présence annihile l’immense potentiel humain du continent.


Au plan artistique, une création dont la reconnaissance cesserait de dépendre de la glose de jurys estivants, au plan religieux, la nette différence entre les valeurs spirituelles et les supports culturels, vecteurs circonstanciels de vérités éternelles. Au plan politique, une capacité de transcender les clivages des idéologies moisies, mais l’émergence de modèles de résorption de nos contradictions, endogènes et pacifiques.


Au plan économique, une éducation à l’épargne, couplée d’une valorisation de l’effort comme creuset de l’avoir, au plan académique, une écoute diligente des besoins spécifiques du continent et l’investissement d’une part essentielle des budgets nationaux dans les domaines de la connaissance. Au plan écologique, une conscience claire du respect de l’environnement, comme pierre de touche d’un respect des droits de l’homme….


Excellences Lectrices, Excellences Lecteurs, qui donc a mandaté Sarkozy pour parler au nom de l’Europe ? Tous les pays européens adhèrent-ils au projet eurafricain ? Quels pays africains ont-ils participé à la conception d’un tel projet, pour qu’il soit considéré comme "Eurafricains" ?
La Librafique, parce que capable de distinguer le Christ du Père Noel subodore à mille lieues l’immensité de la supercherie.

Etes-vous Librafricains ? N’attendez pas que tombent toutes les chaines. Le premier moment de la libération, c’est la liberté de se considérer comme libre !

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