Dans l’histoire des nations, il est des rencontres auxquelles un homme politique ne peut se soustraire sans porter l’estampille d’un désaveu indélébile. La cérémonie dénommée « Flamme de la paix » est certainement de celles-ci. La lucidité la plus commune, le bon-sens le plus élémentaire, la courtoisie la plus rudimentaire, auraient voulu que les cinq personnalités longtemps auréolées du titre ronflant des « cinq grands » soient toutes présentes à ce grand rendez-vous de notre histoire nationale.
Il est évident que les 20 millions de citoyens que compte notre pays, ne pouvaient tous s’engouffrer dans ce stade municipal de Bouaké, mais les cinq personnalités censées les incarner auraient pu au moins les y représenter, comme aux jours où il était question de postes à partager, de ministères à dépecer, de strapontins à accaparer. Par quelle arrogance donc Bédié, Ado et Banny ont-ils pu mépriser le symbolisme de la réunification de la Côte-d’Ivoire ? Quels maléfices, quels sortilèges ont-ils pu incliner ces personnalités à dédaigner, d’une façon aussi incroyable, la mémoire des nombreux morts de la crise ivoirienne ? Qui donc a pu jamais autoriser l’ex-Président à mépriser la Côte-d’Ivoire immolée ? Par quelle race d’orgueil l’ex-député de Daoukro a-t-il pu couvrir de son dédain, le parterre des invités de la Côte-d’Ivoire ?
Quelle vanité a poussé l’ex-premier Ministre à fouler aux pieds la présence des Présidents Toumani Touré et Blaise Compaoré, lui qui rêvait en 1992, d’une Côte-d’Ivoire « avec un autre nom », une Côte-d’Ivoire qui s’étendrait du Golf de Guinée au Sahel ? Comment l’ex-candidat potentiel à la présidentielle de 2000 a-t-il pu tenir pour nulle l’existence de Thabo M’Béki, Président de l’Afrique du Sud ?
Qui donc a réussi à abuser le prince de Morofê sur le bien-fondé de sa non-participation à la cérémonie de la paix ? Qui donc lui a fait avaler que sa présence aux côtés de la Côte-d’Ivoire réunifiée serait un péché ? Quelque notable éméché ? Quelque artiste « néo-houphouétiste » ?
Ces trois absences remarquées, aurons-nous perçue celle relative de la France officielle, sous la présence en minimum syndical de son ambassadeur ? Or, « Everywhere you go, I go too ! », ricanent désormais les ivoiriens. L’insubmersible Aubrey Hooks étant de la partie, le collègue français pouvait-il prendre le risque de s’absenter ?
Le bûcher de la paix refermé, l’histoire retiendra que Bédié, Banny et Ouattara furent absents et que la Côte-d’Ivoire n’en fut pas moins symboliquement réconciliée avec elle-même. Mais pour nous, ceux qui écriront cet épisode de notre parcours national auraient tort de le faire dans l’oubli du discours prononcé le 26 juillet dernier par Nicolas Sarkozy, en terre sénégalaise, c’est-à-dire finalement, à quelques « encablures » de Bouaké.
Copernic avait-il décidé de renverser le paradigme du grand arbitre blanc, qu’ il fallait bien lui opposer le géocentrisme de la bonne vieille AOF dakaroise, tout en atténuant l’influence médiatique de l’antithèse ivoirienne. Un tel message, à peine subliminal n’a pu passer inaperçu. Tous les ingrédients de l’agitation médiatique française ont été mobilisés : contestation de l’âge d’Or de l’Afrique - au sein même de l’Université portant l’illustre nom de Cheick Anta Diop, théoricien de l’antériorité de la civilisation nègre sur celle occidentale - refus déclaré d’endosser l’héritage moral de la colonisation, relativisation des affres de l’ expansionnisme, obsession ethniciste, paternalisme patent, présupposés gobinistes à peine édulcorés, toute une gamme de sujets susceptibles d’occuper une opinion qui se respecte, le temps de laisser passer le train subversif.
Il y avait bien de la provocation dans le propos de l’homme qui déclarait le 26 juillet, à propos de la colonisation, et ce, pratiquement en bordure de l’île de Gorée : « Nul ne peut demander aux générations d'aujourd'hui d'expier ce crime perpétré par les générations passées. Nul ne peut demander aux fils de se repentir des fautes de leurs pères ». Angela Merkel pourra-t-elle jamais prononcer une telle criminalité dans un amphithéâtre de Tel-Aviv ?
A Dakar, pourtant, au micro de la vieille AOF rapiécée, un dédoublement à portée négationniste, enrobé d’une rythmique à la Eluard : « Ils ont voulu convertir l'homme africain, ils ont voulu le façonner à leur image, ils ont cru qu'ils avaient tous les droits, ils ont cru qu'ils étaient tout puissants, plus puissants que les dieux de l'Afrique, plus puissants que l'âme africaine, plus puissants que les liens sacrés que les hommes avaient tissés patiemment pendant des millénaires avec le ciel et la terre d'Afrique, plus puissants que les mystères qui venaient du fond des âges ».
Cette rhétorique anaphorique chère aux amis surréalistes de l’Afrique négritudienne avait pour vocation de tenir le bon nègre par la barbichette de l’affect avant de lui servir sa pilule gobiniste. Pour Monsieur Sarkozy l’homme africain est celui qui jamais : « ne s'élance vers l'avenir. Jamais il ne lui vient à l'idée de sortir de la répétition pour s'inventer un destin » et le président français de narguer des quartiers de polémistes : « Le drame de l'Afrique, c'est que l'homme africain n'est pas assez entré dans l'histoire ». Mais faut-il donner dans la controverse creuse là où l’histoire nous appelle à l’action et à la construction des conditions sociologiques de notre essor ?
Nous n’avons pas du tout le droit d’en vouloir à tous ceux qui par leurs actes et leurs propos tentent de semer des embûches sur le chemin de notre renaissance nationale ou continentale. Qu’ils s’appellent Bédié, Ado, Banny ou Sarkozy, ils ne peuvent être pris pour cibles. La tâche à accomplir est trop grande pour que l’on s’embarrasse de considérations personnalisées. L’Afrique digne dont un pan réside en Côte-d’Ivoire devra, sans perdre la moindre minute, surmonter les outrages et se remettre au travail. Face aux humiliations, face au sarcasme et au négationnisme, la sérénité et l’ardeur au travail permettront à notre continent de renaitre de ses cendres.
Excellences Lectrices, Excellences Lecteurs, la Côte-d’Ivoire ne sera jamais aussi forte qu’en déjouant tous les pronostics des oiseaux de mauvais augure. Quelqu’un a parlé de la capitale de la paix. J’ai envie de libérer Bouaké de l’exclusivité d’une telle charge. Et si toute l’Afrique en était la capitale ? Le "monde entier", me répondraient sans doute, les universalistes, les vrais !
2 commentaires:
Le parallèle que vous faites entre le discours de Sarkozy à Dakar et celui hypothétique de Merkel en Israël fait mouche, cette simple démonstration suffit à elle seule à réaliser l'inconscience des propos de Sarkozy...
Bien joué
Y-voir-plus, vous y voyez plutôt bien !
Je suis opposé aux thèses essentialistes qui voudraient confiner l'Afrique en une terre d'exception radicale.Je pense qu'il y a des fondamentaux qui s'appliquent à tous les hommes. Ce qu'on ne peut dire sur la mémoire des juifs déshumanisés on ne peut le dire sur celle des noirs ayant subi le même sort.
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