Le champ de l’art reste l’un des lieux de prédilection d’un certain impensé totalitaire. Encore aujourd’hui, des outils conceptuels totalement avariés colportent dans l’aire de l’art une forte haleine coloniale. On parle encore – écho d’une époque nécrosée – d’ « art naïf », en ces temps dits de dialogue des cultures. De jeunes étudiants d’écoles de musique, partout dans le monde, s’entendent toujours dire qu’« une blanche vaut deux noires » et qu’est « naïve » toute création artistique ne respectant pas les conventions esthétiques « universalisées ». Nous autres francophones avons aussi une foule de références marquant notre art oratoire du fer des cales.
C’est connu qu’une colère noire est celle de la pire espèce. Connu qu’un « nègre » noircit, pour d’autres, des pages blanches. Poncif que broyer du noir, c’est vivre l’enfer, même si « un mariage à blanc » n’est pas nécessairement le plus heureux des ménages. Heureusement, Bongo a tenté de sauver notre peau en montrant que l’on pouvait être « blanc comme nègre », découverte, pour le moins éclairante…
Il est clair que nos arts, traités de « naïfs » doivent se renouveler. Non parce que quelques tradipraticiens leur auraient diagnostiqué naïveté ou insuffisances, mais parce qu’il est du devoir des diverses générations d’enrichir le patrimoine collectif d’originalité. Les formes vénérées de nos anciens peuvent ainsi être critiquées et dépassées pour que l’art, demain, soit meilleur.
L’œuvre critique est donc œuvre de salut publique, car elle trace les voies d’un lendemain enrichi. Au lieu d’une levée de bouclier, elle doit plutôt susciter une levée de rameau, puisqu’elle vient nous délivrer des chaines de la sclérose et réduire notre marge d’imperfection. Sa parole peut être dure. Mais l’on sait tous qu’un détergent n’est pas un sirop à la menthe. La critique a vocation de nous rafraichir l’esprit et non la gorge. Ne nous trompons pas sur les voies de l’ingestion. Le traitement a des rigueurs que nous sommes supposés intégrer.
Notre quête de perfection doit être en mesure de s’appuyer sur une introspection sans complaisance. Elle doit pouvoir débusquer toute lacune maternée à l’ombre de fausses certitudes et jeter une lumière vivace sur nos pratiques quotidiennes. Mais il nous faut trouver la voie idoine pour un avènement du changement.
Quel mode d’action devra guider notre démarche sur le chemin de la transformation ? Devons-nous vraiment entrer en rébellion contre ce qui nous semble être les tares de notre art ? La critique et l’autocritique peuvent-elles s’effectuer en toute inconscience patrimoniale ?
Il me semble que la critique de soi doit pouvoir se distinguer de l’auto flagellation. Bien qu’on reconnaisse le fakir à la mortification, tout acte de mortification ne fait pas de nous des fakirs. Méfions nous de la fausse posture critique qui n’est finalement qu’une variante de la religiosité de nos grands-mères, cette piété « manioc » confondant spiritualité et rite, conversion et superstition, intercession et incantation, remise en cause et mise en croix. Quand il n’y a pas de péché à confesser, il n’y a pas de honte à se taire.
C’est vrai que nous appartenons à un continent où les thérapies douces sont souvent perçues comme inefficaces et où, seul le goût d’une nivaquine ou la morsure « apocalyptique » d’une seringue douteuse peut convaincre certains d’avoir subi un traitement médical. Contre ce masochisme d’écurie, il faut poser en des termes clairs, les contours de nos éventuels échecs collectifs.
Il nous a été parlé d’art naïf et l’esclavage mental s’en est fait l’écho. Mais, au fond, l’art a-t-il jamais été naïf ? La notion d’art ne porte-t-elle pas, en elle-même, la postulation d’une intelligence à l’œuvre dans la reconstruction du matériau originel ? Et si c’était par inaptitude à pénétrer le champ symbolique d’autrui que l’on estimait sa démarche naïve ? L’art de l’autre ne serait alors naïf qu’à la mesure et à l’étendue de notre ignorance, désarticulé qu’à la mesure du strabisme de nos propres représentations, naïf que du fait de nos lacunes érigées en instance de validation. L’insuffisance ici, se trouverait moins dans la forme produite que dans le regard de l’apothicaire croyant soigner – avec des décoctions – une différence perçue comme maladie de la création.
Nous sommes aujourd’hui face aux cimaises de notre histoire. A nous de choisir les tons de notre apport. Perfectionner le tableau, sans en refaire le portrait me semble être un impératif moral. Il était question de refondation, nouvel horizon dans la toile nationale. A ce projet fut confronté celui de forces nouvelles. La guerre des nouveautés nous a ramené au passé, en termes d’acquis du développement. Mais au regard de l’expérience nationale, nous pourrions bientôt nous targuer d’avoir développé une expertise quasiment endogène de gestion de nos contradictions.
Nos arts nationaux devront bien un jour se renouveler. Sous l’effet du temps, mais bien plus fondamentalement, sous l’effet de notre action. Il est question pour nous de mettre en exergue la part de moralité manquant cruellement à la formulation de notre projet d’autocritique. La moralité dont il est ici question nous permettrait d’offrir ce que nous croyons être un nouveau pagne à la mère, sans nous croire obligés de lui cracher au visage.
La refondation et la rébellion, sont deux formes d’écriture que les fils de ce temps ont cru devoir expérimenter sur la voie de la refonte de notre style. L’art en est aujourd’hui à se déployer sous la forme hybride de la «rebfondation». L’écriture picturale ainsi obtenue n’est pas nécessairement la plus envoûtante, mais elle a l’avantage de ne pas transformer notre quotidien en exposition de peinture.
Excellences Lectrices, Excellences Lecteurs, nous pourrons bien faire la fine bouche. Mais qui saura nier que le passage de la refondation à la « rebfondation de l’art » est fille des outrances ? Le progrès a beau nous passionner nous ne pourrions quelquefois l’atteindre sans adéquation à certaines formes jugées les plus irrégulières.
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