jeudi 17 mai 2007

"Maiéto" pour Renaud



Dois-je entonner pour Renaud le chant sacré des amazones, la complainte des guerrières portant deuil sur une consoeur tombée en couche ? Au risque de surprendre, je dirais oui. Renaud enfantait, sans doute, à contre-courant de nos espérances mais l’homme avait, comme chacun de nous, sa part de rêves, son faisceau d’aspirations.

Il était l’ambassadeur de la France dans cette Côte-d’Ivoire banalisée et déchirée de septembre 2002, cette Eburnie de pères giflés et de sceptres outragés. Renaud était des nôtres, témoin des menaces radiogéniques « de descentes sur Abidjan ». Il était là quand une évacuation de ressortissants étrangers s’était communiée en vacances de l’administration d’Etat, il était là diplomate médiumnique parlant de cloches et de carillons, de nativité glaciale et de Palais désertés…
Peut-être ne laissera-t-il à nos mémoires que le souvenir d’une célèbre missive, testament au vitriol, gageure épistolaire à la face de la Cote-d’Ivoire interloquée. La lettre a pourtant révélé, sous la furie des vocables, un homme d’une grande sensibilité. L’Auteur du Maiéto pour Zékia aurait ici évoqué « la haine amoureuse », cette « même folie d’aimer qui nous tiraille ».

A notre confrère De Yédagne, alors Directeur Général de Fraternité Matin, Vignal, tout diplomate qu’il avait été, n’avait pu s’empêcher d’adresser les mots que voici : « J'ai écouté votre déclaration hier soir, au journal télévisé de 20h sur RTI, et je viens à vous faire part aussitôt de mon indignation et de ma déception devant les propos mensongers que vous avez proféré sur l'attitude de mon pays par rapport à la Côte d'Ivoire dans la crise que connaît votre pays depuis le 19 Septembre ».

Il avait dit « aussitôt », « déception », « indignation » ? Trois traits de l’homme en avaient été trahis : fougue, passion, spontanéité. Fougue par le temps mis à réagir, passion dans la défense de « son pays », spontanéité dans l’usage des mots de l’indignation. L’homme outré et déçu n’avait voulu laisser passer un seul jour, il lui avait fallu répondre au « D.G. menteur » dès les premières lueurs du matin.
L’ambassadeur s’était dit déçu de notre confrère, mais comment pouvait-il l’être, s’il n’avait auparavant rien escompté de l’ami décevant ? Il y avait eu déception parce qu’à portée de cœur, il y a eu espoir. Vœu flétri, attente infructueuse pleurée, sous le déluge incendiaire. Renaud, homme d’espoirs déçus, voyageur abandonné aux quais d’espérances inassouvies.

Pour dire toute sa déception et son indignation la missive était carrément descendue aux enfers. Elle évoquait des bourreurs de crâne et la sottise ambiante de ceux qui avaient osé offenser ce pays, la France, qu’il servait et ne supportait de voir foulée aux pieds. Renaud c’était l’Aristote de l’Ethique à Nicomaque, voyant en l’ami, celui avec lequel l’on « partage le sel ». Et à l’ami d’hier, à ce Yédagne qui avait planté dans le dos de sa France vénérée des mots mensongers Renaud chantait cette complainte indignée :

« Que vous ayiez à Abidjan des "bourreurs de crânes" stupides dans leur nationalisme exacerbé et xénophobes, passe encore. Mais que le Rédacteur en Chef de Fraternité Matin, vous, que j'ai tenu à recevoir à déjeuner, avec toute votre équipe, après votre accession à vos nouvelles responsabilités pour vous manifester notre intérêt et notre estime pour ce que vous entrepreniez pour Fraternité Matin, vous qui m'aviez demandé, et obtenu, des contacts avec des quotidiens comme "Le Monde" lors de votre dernier voyage à Paris; que vous, vous vous laissiez aller, au nom de je ne sais quelle hystérie nationaliste, à hurler avec les loups les plus imbéciles contre la France, les bras m'en tombent. » !


Honorat avait été invité à bouffer, et avait été aussi, comme dira le Maître, « coupable d’un repas ». Comment alors pouvait-il, après s’être régalé, cracher dans la soupe ? Pour soutenir un tel raisonnement au stade de responsabilité qui était le sien, il avait fallu à Renaud, autre chose que de l’inimitié. Quelque chose comme de la candeur, pureté paradoxale par laquelle la colère ne parvient à se hisser à cette froideur requise aux vrais actes de méchanceté.


Renaud croyait devoir évoquer les services rendus. Frat-Mat avait été introduit auprès de le Monde. Le coup de pouce ne pouvait qu’inspirer la reconnaissance. Il y avait aussi cette allusion aux loups les plus imbéciles. Ce terme dans un courrier signé d’un diplomate en fonction et les bras qui lui en tombaient. Comme pour dire qu’il n’avait plus la force de supporter l’inadmissible. Mieux comme par auto immolation, le diplomate citait une sentence de Talleyrand : « Tout ce qui est excessif est insignifiant ». Renaud avait parlé d’imbéciles, de loups hurlants, de bourreurs de crâne… et ce dans un courrier officiel. L’excès était là, s’étalant dans toute sa candeur.


Renaud a dit des choses plus caustiques. Mais faudra-t-il pour autant prendre en grippe sa mémoire? Que non. Renaud était ce frère qui n’avait su se reconnaître comme tel. On l’avait dit socialiste. Nous avions découvert un patriote français. Patriote, comme on peut l’être à gauche ou à droite. Il avait souhaité « voir le moins possible » Honorat et le traitement devait s’appliquer aux loups imbéciles avec lesquels l’illustre journaliste hurlait à présent. C’était excessif, c’était dérisoire. Seul devra survivre l’amour.

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