jeudi 31 mai 2007

Un sauveur nommé Assémien Adja


« La pensée politique pour sauver la Côte-d’Ivoire », est une oeuvre publiée en 2003 en Côte-d’Ivoire et restée complètement confidentielle dans le flot d’écrits et d’actions ayant immédiatement suivi les événements de septembre 2002. D’œuvre, il s’agit en fait, d’une analyse en 30 pages, un brûlot relativement mal écrit où le philosophe Assémien Adja s’insurge contre les « modèles racistes des Blancs impérialistes » et propose, sans sourciller, un modèle de société reposant tranquillement sur le retour au village !


2003 n’est-elle pas l’année où la Côte-d’Ivoire expérimente, le long des villes, divers plans de sauvetage ? Assémien n’aime ni l’errance, ni la transhumance. Il nous invite donc à un retour à la terre natale, au bout du petit matin de nos nuits à Zinzins et Bahêfouês.


Son grief est clairement exprimé : « Le plan du complot diabolique des Blancs visant à maintenir éternellement les Noirs sous leur colonisation en se servant des intellectuels (formés à leur école et à leurs églises) et de leur civilisation (leur modèle socio - politique) doit être combattu (...) pour renouer définitivement avec nos systèmes de chefferie, de royauté d’empire etc.) ».


Cela lu, l’on sait désormais tout d’Assémien Adja. Restera juste à rappeler qu’Assemien est philosophe et qu’il a longtemps exercé à Dabou, une ville où les lycéens l’ont surnommé « Goukouni Weddeye », pour la tignasse et la barbe proverbiales, bien que la constance capillaire du philosophe n’explique pas, à elle toute seule, la persistance du sobriquet !

C’est certainement dans les accents « révolutionnaires » du lointain collègue d’Aristote qu’il convient de rechercher les causes de son identification à l’ex-Président Tchadien, puisque Assemien est connu pour n’avoir pas attendu les soleils d’Avril 90 pour être un anti-conformiste.


Mais sur le fond, ce que propose notre compatriote, théoricien de « l’Afrocratisme » n’est pas nouveau. Comme bien d’autres penseurs avant lui, il en appelle à un retour à l’Afrique traditionnelle. Sa voix reste ainsi l’écho d’une certaine soif/ nostalgie, et n’est pas sans évoquer l’ « Assanou Atin » (piste de la libération) d’ Addiafi. Déçu par le modèle sociétal occidental, le philosophe daboulais nous recommande d’agir comme si nous n’avions jamais rencontré Descartes, Verdier ou Treich-Laplène et nous invite à nous comporter - pour notre propre salut - comme si Houphouët ne nous avait jamais sorti du trou.


L’excès consiste ici à faire porter la cagoule à une parenthèse de notre histoire que nous n’avons pourtant pas à occulter : la rencontre avec l’occident. Qu’elle nous paraisse honteuse ou glorieuse, héroïque ou scandaleuse, nous devrons la regarder en face, l’affronter et la surmonter et non nous réfugier derrière de discutables préoccupations factuelles, ou derrière le fantasme d’un passé immaculé.


La solution Adja parait aussi inopérante par son inconscience des mutations de notre société. Que propose le ruralisme Afrocratique face à la question de la distribution de l’eau par exemple ? Cette ressource peut-elle être distribuée entre les millions de villageois que nous serons devenus, si nous n’adoptons des réflexes parfaitement étrangers à nos cultures traditionnelles ?


Comment la cité villageoise entend-elle aussi régler la question de l’esclavage, car tous redevenus villageois du jour au lendemain, nous devrons évoluer chacun selon son rang. Comment, dans l’espace sociologique recomposé, l’ancien Banquier (re) devenu, par exemple, « Kangah » saura-t-il tenir l’éventail ou la canne en se mettant au service de son ex-planton bombardé notable par la magie de l’Afrocratisme ? D’autres questions restent sans réponse chez Assémien, mais apparemment l’homme préfère les questions aux réponses. Et des questions il ne manque pas d’en susciter par sa célébration, on ne peut plus claire, du coup d’Etat de 1999.


Celui que les lycéens ont surnommé Goukouni n’hésite pas à affirmer qu’ « En Côte-d’Ivoire, le coup d’Etat militaire du 24 décembre 1999 nous a donné une chance inouïe de changer le cours de notre histoire nationale et d’opérer une révolution socio-politique en abandonnant les modèles racistes des blancs impérialistes pour renouer définitivement avec nos systèmes de chefferie, de royauté, d’empire etc. ».


Grâce à Robert Guéï donc les ivoiriens avaient eu la chance inespérée d’avoir un Etat villageois. Mais, s’en indigne Assémien, ils n’ont pas su exploiter cette parfaite aubaine. La nation ainsi obtenue en aurait été dirigée, nous dit Adja, par l’ensemble des chefs traditionnels des ethnies confédérées (Rois, Empereurs, etc.). Elle aurait à sa tête un Chef suprême, un roi, choisi pour cinq ans mais élu par…tirage au sort ! Et ce, pour l’épanouissement et la grandeur, les plus certaines, de l’homme noir ainsi retourné au village, seul lieu où semble finalement s’épanouir l’humain.


Nous aurions pu rire, plus franchement, du projet d’Assémien Adja si les théoriciens de la mondialisation n’avaient choisi de symboliser notre monde globalisé par la notion de village. La globalisation n’a pour symbole ni le quartier, ni la ville, ni la principauté, mais le village. L’on le dit planétaire, mais devant nos bouquets numériques, nos microprocesseurs et nos cerfs-volants supersoniques, nous sommes toujours aussi superstitieux et imprécateurs qu’à la pire époque des bûchers que nous croyions, naïvement, avoir définitivement éteints.


Pourquoi le village nous fascine-t-il tant ? Comment au milieu du confort et de la rutilance de nos villes ressentons-nous encore le besoin d’uriner, debout, dans la rue, comme cette pimbêche croquée par Césaire ? Pourquoi, même devenu Ministres, éprouvons-nous encore le besoin d’échanger quelques coups de poings au sein même du palace le plus huppé ?

Réponse : on peut tirer le villageois du cœur du village, mais on ne peut tirer le village du cœur du villageois. Besoin de communion, soif d’échange, fut-il convivial ou conflictuel, l’indifférence étant le mal le plus difficile à supporter.


Pas plus qu’hier mardi, toute l’Europe en était à célébrer la « fête du voisin », une célébration qui selon ses organisateurs, se veut donner à chacun, l’ « occasion de rencontrer ses voisins pour développer la convivialité afin de rompre l'anonymat et l'isolement qui règnent souvent dans nos villes ». L’édition 2007, la 8ème du genre, relayée en France par plus de 560 mairies a aussi été célébrée dans 700 villes européennes.


L’homme, éternel villageois, androgyne, toujours en quête de l’unité ébréchée ? Un fait est sûr, notre modernité à peine devenue planétaire se sent déjà envahie de la nostalgie de la case de départ.

Puissions-nous en avoir conscience afin de concilier notre besoin légitime d’affirmation et la nécessité, pour nous, de vivre en frères, malgré nos divergences.

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