lundi 7 mai 2007

Mon Papa ne veut pas que je danse la Polka




« Nous interpellons publiquement le président Henri Konan Bédié et son parti, le PDCI, le Président Ouattara et son parti le RDR (…). Les Forces Nouvelles voudraient dire ici clairement qu’elles n’ont pas attendu le G7 pour exister».


Ainsi, face aux messieurs d’Abidjan qui entendaient lui dicter sa voie, Sidiki Konaté, l’homme de Bouaké et nouvel abidjanais, a donc choisi de donner de la voix. On lui reprochait d’avoir dansé, en grande compagnie, à Yopougon…


La polka de Yop


Une danse n’est jamais anodine. Le divin Djati ne disait-il pas que la danse d’un individu révèle « vraiment » sa vision du monde ? On comprend mieux pourquoi la danse de Maty Dollar ne sera jamais celle de Constance, même s’il n’est pas toujours aisé de distinguer les pas de la « Harpe de David » de ceux des « Tueuses ». Le Zouk de Sidiki, lui, est mémorable, car il nous révèle – malgré la distance réglementaire des exécutants – que vivre ensemble, c’est d’abord vivre en phase, ne se reste qu’au sens chorégraphique. La danse, comme la prière, suggère le lieu d’existence de nos muses : « Si la danse classique qui fait la fierté de l’Occident est centrée sur le haut et le ciel alors que les nôtres le sont sur le bas et la terre, c’est à nous qu’il revient d’en comprendre le sens et l’intérêt ; si celle-là fait l’apologie de la rationalité et de l’abstraction, celle-ci est renouvellement de la solidarité avec la nature et servira sûrement de base future à une conscience écologique que l’Occident nous enviera. Les enjeux humains et écologiques sont grands. Ne méprisons pas nos pieds, assurons nos pas », affirme, lumineux, le Maître, dans l’apologie à Tiagouri Tapé.

Sidiki, en tout cas, sans avoir la tête d’un écolo, montre bien qu’il a les yeux rivés sur ses souliers, contrairement aux tuteurs apostrophés. A la belle époque de Bata, on aurait dit « pas un pas sans suiveurs », mais voilà qu’on en est tristement à dire, « pas un suiveur, sans pas ». Ce n’est ni la faute à Konaté, ni celle à Tiagouri. On ne peut graisser la patte à l’histoire !

Le Caïman et le Pipi

Le réservoir symbolique des acteurs ivoiriens est un sacré bestiaire. Du Bélier de Yamoussoukro au Sphinx de Daoukro, la généalogie est longue. On peut rire du bêlement des agnelets quand d’autres se sentent des Lions du RDA. Mais certains moutons ont la canine plus acérée que celles des fauves officiels, le choc est alors poussé à la totale. Considérons donc l’avertissement de Gueu Dro : on ne juge de la venimosité d’un serpent ni à sa taille, ni à sa forme. D’ailleurs, les prenant pour ses poussins, le Ministre Soumahoro du RDR a certainement mal jaugé les Forces Nouvelles. Il est accusé d’avoir affirmé qu’elles sont « le pipi » de son parti. Sécrétion infertile ! C’est dire toute la jouissance du RDR.
Par conscience écologique, on parlait hier, de fleuves jetés à la mer. Aujourd’hui, nous en sommes à boire de l’urine. Et Konaté Sidiki n’est pas content d’une telle plongée de notre débat national. Il a tranché la question d’une éloquence univoque : « Les forces nouvelles ne sont pas le pipi de quelqu’un » ! Un démenti aussi castrant n’amusera pas ceux qui ont choisi de faire pipi dans la piscine. On voyait leur dos, mais qui soupçonnait que ces pisseurs nous le montraient pour mieux gâter nos eaux. Aujourd’hui tout est rentré dans l’ordre puisque, personne ne reconnaît avoir tenu un tel propos.
Sidiki qui était profondément indigné par cette affaire de pipi au long cours, affirme s’être rapproché du Ministre Soumahoro qui a certifié n’avoir jamais tenu le propos incriminé. Alors, ni pipi, ni caïman. Tout le monde il a joli. Tout le monde il a content ! Youpi !
La parenthèse urinaire se referme non sans décrire une parabole d’insolence. Désormais, les répliques seront cinglantes semble dire Sidiki. Et ce n’est pas ce que dira le père qui empêchera les enfants de danser la Polka.

Il dira ce qu’il voudra…

En Côte-d’Ivoire, la Polka est connue grâce à une chanson d’enfants : « Mon papa /ne veut pas/ que je danse/ la Polka. Il dira/ ce qu’il voudra,/ moi, je danse/ la Polka ». Hymne de désobéissance, la Polka devient ode à l’insubordination. Elle se dresse contre l’autorité des pères castrateurs et invite à leur tenir tête. Il n’est plus question de se soumettre aux géniteurs masqués. La polka, est une danse de couple, exécutée avec entrain, voire frénésie. Rien à voir avec nos paresseux slows actuels. Elle est à l'origine une danse folklorique de Bohême (actuellement en République tchèque). Les couples la dansent en tournant ensemble, sur un rythme infernal, en série de séquences simples : pose du pied, rapprochement, pose du pied, pas sauté. « La musique est à deux temps, avec un temps faible marqué », soulignent les spécialistes. Mais puisqu’elle est danse de couple, les pères voient en elle, une prise d’autonomie. Qui danse la Polka, mime le jeu des adultes, s’invite au cercle des initiés. Certains pères ont, semble-t-il, l’horrible coutume d’accompagner leurs propres filles aux linteaux sacrés. « Accompagner à l’autel », n’est pas « accompagner à l’hôtel ». Quand même !


Sidiki a décidé de danser. D’être. De vivre. Tout simplement. Autrement que par procuration.

« Je danse donc je suis », disait Maurice Béjart. Refusera-t-on, aux autres, le droit d’être ? Le leur refusera-t-on, après avoir chanté à tous les tons la chansonnette du vivre ensemble ?
Certaines danses nous font sautiller, d’autres nous permettent d’entrer en nous même, quitte à nous d’en ressortir sous la forme d’un alligator ou de pet. C’est aussi cela la libre expression. La démocratie naturante !

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